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Du côté du "oui"
Portrait de Yannick Haenel
Nous sommes en 1996. Yannick Haenel vient de publier son premier roman, Les petits soldats, dans lequel il raconte ses trois années de scolarité au Prytanée militaire de La Flèche. Très entouré, encouragé par l'amitié de Louis-René des Forêts, le jeune écrivain est alors promis à une gloire certaine. Mais Yannick Haenel se méfie du succès installé, et choisit de prendre à contre-pied les attentes placées en lui. "J'ai appris comment il faut décevoir ceux qui nous interrogent. Mes aventures n'ont pas d'autre nom que le mien. Les saveurs ne s'échangent pas. Tout pour moi." Il se lie alors avec l'écrivain François Meyronnis. Ensemble, ils fondent la revue Ligne de Risque. Le mot d'ordre de cette conspiration joyeuse ? "Réaliser le dépassement du nihilisme."
Le 11 septembre 2001, Yannick Haenel publie Introduction à la mort française. Dans ce roman audacieux et fou, le narrateur est enfermé dans un étrange institut où s'écrivent la totalité des phrases publiées en France, tandis que Paris glisse dans l'horreur : des cadavres font surface dans la Seine, le Panthéon brûle, on inaugure un musée de la Culpabilité. Finalement le narrateur provoque un incendie et s'évade, puis traverse la France "avec une sensation de féerie". Evoluer parmi les avalanches, dont le beau titre fait écho à un poème de Rimbaud, paraît en 2003. La couverture de l'ouvrage mentionne le mot "roman", mais il s'agit plutôt d'une libre errance poétique à travers Paris, dans laquelle l'auteur évoque son amitié avec François Meyronnis, son estime pour Louis-René des Forêts, ou ses rencontres étranges avec l'acteur Jean-Pierre Léaud dans les cafés de Montparnasse. "Les phrases de ce livre s'élancent derrière ma tête, elles frôlent mes oreilles, tournent sur elles-mêmes et forment des sons qui viennent glisser sous vos yeux. C'est ainsi que s'écrivent mes désirs. C'est ainsi que m'apparaît la solitude. Je ne connais pas de plus belle aventure que celle d'être soudain seul - et de se détacher."
En 2007, Yannick Haenel publie Cercle. Le début du livre est saisissant. Nous sommes lundi matin, le narrateur Jean Deichel est sur le quai de la station Champ-de-Mars, il attend le train de 8h07 pour se rendre à son travail. Soudain il reçoit une étrange une illumination, une extase imprévue qui lui ouvre les yeux. "C'est maintenant qu'il faut reprendre vie", pense-t-il. Alors il fait demi-tour, renonce au train de 8h07, jette ses dossiers dans la Seine et se laisse porter par "ce vent léger où flottent les désirs". A partir de là, une "existence absolue" s'ouvre à lui. Il lit Moby Dick ou L'Idiot dans sa chambre d'hôtel. Il rencontre une danseuse nommée Anna Livia. Sur le Pont des Arts, à Notre-Dame, c'est une succession de vertiges sur lesquels il tâche de mettre des mots. Jean Deichel est le passant considérable du printemps parisien. Le style de Yannick Haenel est ici plus envoûtant que jamais. C'est une écriture d'une élégance froide, d'une poésie déroutante et colorée, peuplée d'images puissantes, et fermement positionnée du côté du "oui", comme le résume l'auteur pour affirmer sa volonté de réenchanter le monde.
Dans la deuxième partie du livre, l'errance de Jean Deichel prend une tournure dangereuse. Il est seul à Berlin, au beau milieu d'un hiver glacé. Mais il s'accroche à son intuition et continue de faire confiance aux phrases. Il gagne bientôt la Pologne. C'est là qu'apparaît en toile de fond le souvenir douloureux de la Seconde guerre mondiale, que Yannick Haenel explore avec brio dans Jan Karski. Pour l'instant c'est le printemps, nous sommes dans la troisième partie de cette odysée dont la construction épouse celle de La Divine Comédie : il est donc dit que le dernier mot de cette aventure reviendra à Béatrice, c'est-à-dire Anna Livia.
Yannick Haenel a notamment publié :
Les petits soldats, La Table Ronde, 1996
Introduction à la mort française, Gallimard, "L'Infini", 2001
Evoluer parmi les avalanches, Gallimard, "L'Infini", 2003
Cercle, Gallimard, "L'Infini", 2007, Prix Décembre et Prix Roger-Nimier
Jan Karski, Gallimard, "L'Infini", 2009, Prix Interallié
Richard Huitorel