Quand les peintres de la lumière tracent la voie sacrée

            Quatre mois pour contempler les tableaux et enluminures religieuses du Florentin Fra Angelico et des peintres-moines de son école. C’est ce que nous propose cette magnifique exposition organisée par le Musée Jacquemart-André et l’Institut de France.
 
Un hommage parisien inédit au travail de l’un des plus grands maîtres de l’art sacré, qui a vécu en plein cœur du Quattrocento florentin : grâce aux prêts exclusifs accordés par les plus grands musées du monde entier, de nombreux musées italiens ainsi que la prestigieuse Galerie des Offices et le Musée de San Marco de Florence, où sont conservées la plupart des œuvres du dominicain Fra Angelico, cette exposition présente une trentaine d’œuvres majeures du peintre. Les visiteurs pourront également découvrir le chef-d’œuvre le plus connu de cet artiste, mais intransportable : les fresques des cellules du couvent San Marco à Florence, grâce à une vidéo présentée à l’entrée de l’exposition. L'Annonciation, le Jugement Dernier, la Déposition de la Croix, le Couronnement de la Vierge, sont autant de tableaux et retables de ce moine inspiré qui mit son art au service de la religion.
Au travers de cette vaste rétrospective, le Musée Jacquemart-André ambitionne également de montrer que, loin d'être un peintre isolé dans sa cellule, Fra Angelico n’ignora rien des innovations artistiques de ses contemporains et fut l'un des maîtres les plus suivis, initiateur d'un courant artistique que les spécialistes ont appelé « les peintres de la lumière ». En plus des œuvres délicates de Fra Angelico, on pourra ainsi admirer au moins autant de panneaux, tableaux et livres enluminés réalisés par des peintres prestigieux qui l’ont inspiré ou qui l’ont suivi, comme son maître Lorenzo Monaco, Masolino et Paolo Uccello, ou les moines-artistes de son école tels que Filippo Lippi et Zanobi Strozzi.
 
Alliant dans chacune de ses toiles l’éclat des ors, hérité du style gothique international, à la nouvelle maîtrise de la perspective, Fra Angelico (1387-1455) a pleinement participé à la révolution artistique et culturelle que connaît Florence au début du XVe siècle :
Le moine-peintre florentin adopte les nouveaux préceptes picturaux des grands Maîtres de son temps, qui proposent une représentation du monde plus réaliste, soutenue par l’importance de la figuration humaine et de la nouvelle maîtrise des règles de la perspective, mais il reste cependant fidèle aux principes de la peinture religieuse médiévale. Ses œuvres conservent en effet une fonction didactique, renforcée par la valeur mystique qu’il donne à la lumière, qui transfigure les visages et annule les ombres, avec de nombreux à –plats à la feuille d’or et de la gravure sur or. Fra Angelico peint le plus souvent à tempera, (peinture dont le diluant est l’eau, et le liant principalement du jaune d’œuf), sur bois.
Outre ses tableaux où se déploie son sens des couleurs, il laisse de nombreuses fresques et miniatures qui toutes témoignent de son inspiration céleste, de sa piété, de son humilité, et de sa vision de l’art, qui doit servir au triomphe de la religion. On le considère d’ailleurs comme le dernier représentant de l’art religieux du Moyen Age. Formé à l’école de l’enluminure et à l’école de l’intériorité dans les couvents de Fiesole et de Florence, Fra Angelico donne au monde quelque chose d’unique. C’est un art d’une fraîcheur, d’une sobriété, d’une simplicité de dessin et de couleur jamais égalées. Il se dégage de ses œuvres, réinterprétant encore et encore les sujets de la tradition biblique, une lumière et un silence propres à traduire l’indicible. Son habileté dans l’art de la composition et sa virtuosité dans l’art a fresco, renouvelée par sa maîtrise technique de la transparence des liants et des pigments, font de lui l’un des maîtres du Quattrocento.
Les œuvres exposées de Fra Angelico déclenchent la vénération par la mystérieuse présence de ses personnages, par la beauté de ses visages, par le langage silencieux de ses récits bibliques. Devenu religieux et peintre dans un contexte extrêmement difficile puisque l’Italie du Nord était alors marquée par la peste, les dissensions sociales et politiques, Fra Angelico choisit d’offrir au travers de sa peinture une vision béatifique de la société de son époque. Grâce à sa vie contemplative, le moine dominicain a gardé sa liberté intérieure. Toute son œuvre artistique est le reflet de son âme. Il n’est pas surréaliste mais surnaturel. Il exprime l’Eternité.
En observant les scènes de martyrs, telles que Le martyr des saints Côme et Damien, Les stigmates de saint François et Le martyr de saint Pierre ou encore Le martyr de saint Laurent, on ne peut qu’être frappé par la douce sérénité des personnages malgré l’horreur et la souffrance des scènes évoquées. La peinture de Fra Angelico n’est pas un spectacle mais le fruit de sa contemplation, de sa vie en Dieu, offerte aux hommes et par un cercle vertueux, à Dieu. Fra Angelico est au-delà du temps, c’est l’éternité qui compte. Ce qui est important, c’est la Présence au présent. C’est en cela qu’il demeure moderne.
Toute l’exposition n’est qu’un jaillissement aurifère, empreint de la douceur des visages blancs de toutes ces vierges aux airs endormis et souriants, de petits Jésus potelés aux mains délicates, de lettrines fleuries et majestueuses ; il flotterait presque entre les salles tamisées la chaude odeur de l’encens, et, à force de bien tendre l’oreille, on distinguera les chœurs sereins de chants de monastères… La hauteur des ces moines-peintres-enlumineurs provient justement de cette capacité à tirer une passerelle picturale entre la modernité et la mystique du sacré. Ils nous content une liturgie dorée, d'où les anges parlent, annoncent la parole sous une voûte étoilée. Leur maître, Fra Angelico est enterré à Rome, il est béatifié en 1984 par le Pape Jean-Paul II, d’où son surnom italien de « Beato Angelico ». Il est aujourd’hui le saint patron des artistes.
 
Exposition Fra Angelico et Les Maîtres de la lumière, Musée Jacquemart-André, 23 septembre 2011-16 janvier 2012.
 
Claire Fessart.

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