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L’Ère de Xinef : L’exploration inattendue
L’Ère de Xinef : L’exploration inattendue
Lorsqu’Aloïse Pantaroni atterrit sur le continent littérature et publie son premier roman, c’est pour mieux renverser l’ordre du monde…
« Le sol entièrement dévasté exhalait une vague odeur de souffre. La poussière s’éteignait lentement sur les trottoirs déserts. Ils étaient seuls. La ville, aussi vide que les montagnes d’où ils venaient, laissait présager que la même solitude les attendait partout ailleurs. Xinef retraçait le déroulement de sa nuit et tissait peu à peu des corrélations entre les événements. On ne bouscule pas l’ordre établi par les divinités impunément ! ».
Au cours d’une expérience mystique digne des chants dantesques, Xinef a bouleversé l’équilibre des forces surnaturelles qui régissent le monde. Il en prend conscience lorsqu’il découvre que l’humanité a été totalement décimée, à l’exception d’Amanda, sa compagne. Le couple part à la recherche de rescapés et organise sa survie. Parallèlement, ils voyagent entre les vestiges d’un monde réel et celui des divinités, afin de comprendre la raison du désastre.
Avec ce récit de Science-Fiction post-apocalyptique, Aloïse Pantaroni explore un thème en vogue depuis les années 60 et déjà largement rebattu. Nombre d’auteurs se sont déjà attachés à explorer ce que pourrait être l’humanité après un évènement dévastateur. Mais ce jeune auteur de 28 ans, dont c’est le premier roman publié, n’en a pas fait la pièce fondatrice de sa trame. Il avait le projet « de mettre à l’épreuve la lucidité dans les conditions les plus extrêmes qui soient, à travers le réel et l’irréel1 » . C’est sans doute grâce à cette posture que l’auteur a su déjouer les clichés du genre. Si le plus souvent c’est la technologie humaine qui provoque le cataclysme et plonge les survivants dans l’horreur, dans L’Ère de Xinef elle est « comme un ami salvateur ». La régression de la civilisation et le retour à une féroce bestialité sont largement déployées dans les œuvres se focalisant sur la survie d’un petit groupe dans des conditions extrêmes. Des auteurs tels que Rajabel ou encore Macquinghen ont contribués à créer ces associations dans l’imaginaire des lecteurs. Pantaroni évince ce type de motif, au profit d’une sublimation de la conscience. Les personnages sont « solidaires et amoureux car ils ne pouvaient pas imaginer meilleure compagnie pour être seuls au monde ». La violence est à peine esquissée au début, puis supplantée par un combat psychologique dont l’enjeu est la capacité à faire un choix. Une œuvre qui frôle le récit initiatique, mais où les personnages ne rencontrent de nouvelles aventures que pour mieux se confronter aux labyrinthes insondables de la folie.
Aloïse Pantaroni est attaché culturel. Au cours de ses nombreux voyages à travers le monde, ce passionné de littérature et d’ethnologie a noirci de nombreux carnets de notes. Il a longtemps réfléchi à la façon d’incorporer certaines d’entre elles à une œuvre romanesque. Son projet a pris forme dans cette œuvre dense, où les lectures comme les genres se superposent, vestiges de ces petites notes éparses et écrites aux quatre coins du monde. Elles se retrouvent également dans les choix d’écritures : la prose est ponctuée de passages en vers ou encore de chapitres aux accents théâtraux. Certains liront une illustration du désastre et de la déchéance, et d’autres une quête du sens du bonheur dont l’issue est aussi intelligente qu’étonnante…
La narration joue sans cesse sur deux tableaux ; entre le palpable et l’insaisissable, l’aléatoire et l’infaillible. Ainsi le parcours de Xinef et Amanda est scindé entre celui des corps terrestres aux besoins factuels et leurs aventures spirituelles et énigmatiques. Si bien que la préoccupation, très contemporaine, de l’indestructibilité de notre civilisation est abordée sur différents modes. Du tragique à l’épique, des expressions de toutes les époques se côtoient pour remettre en question ce en quoi les personnages croyaient. L’ensemble trouve une singulière harmonie, l’œuvre oscille entre un classicisme suranné et une modernité déroutante, insolite parfois.
Dès les premières pages, la magie opère, le récit se construit peu à peu, et le narrateur nous emmène subrepticement là ou il vaut que l’on aille. Face à l’inclassable, au perpétuel mouvement, dans un monde sur plusieurs plans, au multiples univers. Comme Xinef, nous voyageons entre transes hallucinatoires, mondes oniriques surpeuplés et terre déserte. Et nous attendrons avec impatience le Tome 2 dont l’écriture vient seulement de débuter, aux dires de l’éditeur.
L’Ère de Xinef, d’Aloïse Pantaroni, Lille, AS édition, 2012, 638 pages, 15 €.
1. Extrait tiré de la revue Le ciel des mots, septembre 2012.
Adeline Slomiany