L'exposition Les enfants modèles, de Claude Renoir à Pierre Arditi, qui se tient au Musée de l'Orangerie du 25 novembre 2009 au 8 mars 2010, rassemble plus de cent tableaux réalisés de 1875 à nos jours. Elle réunit les portraits d'enfants qui ont posé, bon gré mal gré, pour leurs parents artistes – peintres ou sculpteurs – en s'adonnant à l'une de leurs activités préférées ou en arborant les attributs choisis par leurs géniteurs – costume de Pierrot ou de clown, cheval de bois, cerceau, poupée, soldats de plomb.
     
     Conçue par Emmanuel Bréon, conservateur en chef du patrimoine et directeur du Musée de l'Orangerie, cette exposition originale, qui s'inspire des Petites filles modèles de la Comtesse de Ségur et joue sur la double signification de « modèle », propose une promenade émouvante à travers les productions les plus intimistes des artistes de la fin du XIXème siècle et du XXème siècle. Le véritable portrait d'enfant est apparu bien avant le XXème siècle. Mais si l'enfant commence à être reconnu en tant que tel aux XVIIème et XVIIIème siècles, c'est au XIXème siècle que le portrait d'enfant connaît un véritable essor. Les œuvres exposées montrent des enfants-personnes, éprouvant des émotions qui leur sont propres. Ces « enfants modèles » n'ont pas tous vécu de la même façon les séances de pose interminables que leurs parents leur faisaient subir, et leurs portraits en témoignent : alors que certains semblent heureux de poser ou prennent une pose provocatrice, comme dans le portrait troublant de la fille de Tamara de Lempicka qui fut utilisé pour la couverture de Lolita de Nabokov, d'autres, comme Robin John, manifestent leur impatience et leur colère contre le difficile exercice qu'on leur impose. D'autres encore semblent s'ennuyer au plus haut point. Pierre Arditi, peint par son père Georges, confie sa douloureuse expérience : « Ces séances de pose silencieuses sont un souvenir douloureux pour un garçon de cinq ans, qui, comme tout enfant de cet âge, préférait aller jouer dans la rue plutôt que servir de modèle à son père. Surtout au vu du résultat… Je ne comprenais pas ces trous noirs en guise des yeux. Il m’a fallu du temps pour percevoir ce regard artistique que portait mon père. C’est lui qui nous a appris à avoir un œil. C’est un cadeau précieux dont je jouis sur le tard. »

     Pierre-Auguste Renoir, Claude Monet, Odilon Redon, Maurice Denis, Mary Cassatt, Berthe Morisot, Paul Gauguin, Pablo Picasso, Tamara de Lempicka : de grands noms jalonnent l'exposition. Au-delà des diverses expressions des enfants, de la joie ou du narcissisme à la colère ou à l'ennui le plus profond, ce sont les différentes conceptions artistiques de leurs parents qui donnent sa richesse à l'exposition : symbolisme, impressionnisme, fauvisme, cubisme, nabisme ou art naïf, tous ces mouvements se côtoient dans des toiles ou des sculptures témoignant d'une réelle recherche esthétique. Représenter leurs enfants fut, pour les artistes, l'occasion de faire preuve d'une créativité formelle intéressante, comme en témoigne le portrait de Jean-Marie Rouart, réalisé en 1946 par son père Augustin : le visage de l'enfant endormi, en gros plan comme dans une photographie, est à moitié caché par le drap aux reflets bleus. D'autres portraits ont été judicieusement mis en parallèle : Paul Cézanne et Paul Gauguin ont tous deux représenté leur progéniture de profil. Certains portraits confèrent aux enfants une aura presque sacrée, comme le portrait du fils d'Odilon Redon, qui ressemble à une icône. Des artistes moins connus, tels Albert Braïtou-Sala et Louis Bouquet, ont également leur place dans l'exposition, tandis que d'autres ne sont pas connus en tant qu'artistes : Françoise Dolto, dont les portraits au crayon qu'elle a réalisés de ses enfants ont été exposés, est davantage reconnue en tant que pédiatre et psychanalyste. Certains artistes sans enfants vont jusqu'à s'inventer une famille en peignant les rejetons des autres : Édouard Vuillard a peint les enfants de ses commanditaires, pour lesquels il s'était pris d'affection, et André Derain a représenté ses nièces et neveux. Parmi la pléthore de portraits, on reconnaît Claude Lévi-Strauss, représenté par son père Raymond à califourchon sur un cheval de bois : l'image fait sourire lorsque l'on pense au brillant anthropologue et ethnologue qu'il est devenu par la suite, alors que son père est tombé dans l'oubli.

     L'exposition présente, en contrepoint de tous ces portraits, les témoignages écrits des enfants eux-mêmes, ainsi que les jouets que leurs parents utilisèrent pour les faire se tenir tranquilles lors des séances de pose et les costumes qu'ils les obligèrent parfois à porter. Ces objets-reliques permettent au visiteur de s'immiscer encore davantage dans l'espace familial et intime des enfants, espace souvent occulté par l'histoire de l'art qui, se voulant discipline scientifique, a parfois tendance à oublier sa dimension affective. L'exposition se clôt sur une projection vidéo où des « enfants modèles », devenus grands, témoignent des séances de pose auxquelles ils ont été contraints. On ne peut que louer l'initiative du Musée de l'Orangerie, qui offre au regard du visiteur une exposition touchante et originale jalonnée d'œuvres magnifiques.

 

Musée de l'Orangerie, du 25 novembre 2009 au 8 mars 2010.

Tarif plein : 9,50 euros ; Tarif réduit : 7,50 euros.

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