Janvier 2010 : après quinze mois de restauration, les Deux Plateaux sont de nouveau accessibles au public. Plus connue sous le surnom des « colonnes de Buren », l’œuvre avait subi au fil du temps d’importantes dégradations allant jusqu’à la dénaturer : panne électrique la privant de son éclairage nocturne ; infiltrations dues à une étanchéité défaillante ; fontaine du sous-sol arrêtée, en raison de la panne des pompes — des dégradations souterraines bien plus importantes que celle des colonnes elles-mêmes, malgré le passage de plus de 35 millions de visiteurs dans la cour d’Honneur du Palais-Royal depuis 1986.
La détérioration progressive de cette œuvre renvoie au problème général de l’entretien des créations contemporaines in situ. « Sans entretien, aucune œuvre, aucune architecture, où que ce soit, ne peut résister au temps, rappelle Daniel Buren. Pourquoi l’art contemporain échapperait-il à la règle ? Il faut donc, si on érige une œuvre dans l’espace public, non seulement faire en sorte que l’on ait les moyens de l’entretenir, mais, plus important encore, faire en sorte que l’œuvre soit effectivement entretenue dans les règles de l’art, et ce, quels que soient les changements et autres aléas politiques. » Il conviendrait donc d’intégrer le coût de l’entretien à celui de l’œuvre, sachant toutefois qu’un entretien régulier se révèle beaucoup moins onéreux pour la collectivité qu’une restauration complète comme pour les Deux Plateaux.
Il fallut d’ailleurs batailler… Après avoir, durant près de dix ans, tiré la sonnette d’alarme sans jamais être entendu d’aucun ministre de la Culture, Daniel Buren ne pouvait plus accepter que les Deux Plateaux à moitié dégradés continuent à être visibles en l’état et sous son nom : il se déclara prêt à intenter un procès à l’État, afin que l’œuvre soit ou bien restaurée ou bien détruite. C’est sous le ministère de Christine Albanel, fin 2008, que les travaux furent enfin entrepris. Aujourd’hui satisfait, l’artiste salue la qualité de cette restauration d’un élément à part entière du patrimoine parisien.
Cette lenteur des pouvoirs publics traduirait-elle toutefois des réticences persistantes quant au travail de Buren ? On sait les violentes polémiques que firent naître les Deux Plateaux, l’année de leur ouverture. Aux détracteurs des « Colonnes » qui prétendent qu’il est choquant de mêler ainsi le contemporain à l’ancien, l’artiste objecte : « Presque tout ce que l’on voit, légué par les siècles précédents, est en fait une mixture de styles et d’époques différents qui s’accumulent, se chevauchent, s’imbriquent les uns dans les autres. Le Palais-Royal en est un exemple parfait : il y reste quelques éléments du XVIIe siècle, d’autres du XVIIIe, et beaucoup du XIXe. » Rappelons que la cour d’Honneur, au XXe siècle, a d’abord été occupée par une usine électrique, puis par un parking réservé aux personnels des institutions attenantes. « Si les choses sont bien faites, explique Daniel Buren, le mélange du passé et du contemporain dans des lieux anciens, c’est même la meilleure façon (en dehors de l’entretien des vieilles pierres) de montrer que l’ancien est encore vivant aujourd’hui. C’est la meilleure façon de le raviver, de le porter à l’attention du plus grand nombre. » Qu’on aime ou non les Deux Plateaux, on ne peut leur dénier le mérite d’avoir su restituer au public les 3 000 m2 de cette cour.
Même si intégrer des œuvres contemporaines au centre de quartiers ou de monuments historiques n’est en rien une obligation aux yeux de l’artiste, une telle cohabitation est pour lui toujours envisageable. Cela dit, « dans la pratique, […] le principe d’une cohabitation vive et harmonieuse n’est jamais gagné d’avance. » Après des œuvres in situ, durables comme les Anneaux à Nantes ou éphémères comme la Coupure de l’hôtel Salé à Paris, Daniel Buren travaille actuellement avec une importante équipe pluridisciplinaire sur le nouveau tramway qui traversera la ville de Tours. Début 2010, il termine par ailleurs la place centrale de Colle di Val d’Elsa, en Toscane. En Italie encore, il a remporté un concours, avec une petite équipe d’architectes, pour réaménager la place centrale de la ville de La Spezia, en 2011.
                                                                                            Hayet ESSANA


Les citations de Daniel Buren sont extraites d’une interview donnée à l’agence KUNA (Kuwait News Agency) le 21 février 2010.
 

 

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