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Dans les limbes d'Arte

Qui ne s’est jamais endormi devant Arte, ou n’a déclaré, en plaisantant, s’être endormi devant Arte ? Dernière possibilité, par snobisme peut-être, on peut déclarer « ne regarder qu’Arte… » Subversive la nuit, la chaîne franco-allemande aux jingles sensuels se fait culturelle le jour. Est-elle la seule chaîne de télévision à élever au rang d’art une forme d’esthétique langoureuse de l’ennui ? Peut-être, mais snobisme ou insomnie, elle a ce je-ne-sais-quoi de curieux qui retient le regard. Est-ce ce léopard qui marche depuis des heures dans une jungle couleur sable, sans qu’aucune voix off vienne troubler sa quiétude ? ou ces danses du dimanche soir, coïts ou combats sur des tambours étranges ?

 

Oui, cette énigmatique ambiance Arte existe bien, monde à part qui serait une parenthèse dans le temps. Une parenthèse paradoxale, de forme, car au fond Arte est une chaîne d’information, pointue sur une actualité politique, économique, géopolitique, sociale et visionnaire dans le monde des arts et de la culture. Arte est donc un monde, un écran qui voyage aussi : des décoctions de coca préparées sous les yeux d’un audimat fasciné le jour, éberlué la nuit pour des festivals dans un Berlin halluciné. De la muraille de Chine aux lémuriens d’Australie, quelque chose interpelle.

 

La couleur d’Arte ensorcelle, sa voix obsède. Les titres de ses émissions, de ses films, soufflés dans un français cristallin de jeune fille synthétique, puis traduit dans un allemand envoûtant, sont autant d’incursions dans des univers à l’esthétique bien particulière. Arte est une bulle sensuelle qui jamais n’éclaterait, haïku parfait décrivant un monde personnel, une identité singulière et pourtant universelle.

 

Il y a quelque chose de vaporeux dans l’action, peut-être l’inaction de regarder Arte, de vaporeux et de voluptueux dans l’impression latente de poursuivre un art de vivre précieux et rare. Serait-ce la haute couture de la télévision, quand la grande distribution cathodique procède à l’abattage massif de téléfilms ineptes, de florilèges d’émotions frelatées, le tout participant à l’abrutissement à la chaîne de toute une population prenant un plaisir massif et grossier à se vider de sa substance ? Cela dit, en terme d’abrutissement, il est vrai que certaines émissions « artesiennes » nocturnes peuvent abasourdir certains, ahurir d’autres… Mais il y a quelque chose d’énigmatique dans cette forme d’hébétude créée lorsqu’à deux heures du matin, un transsexuel péruvien se met à tournoyer sur lui-même comme un derviche dans un sous-sol des bas-fonds du Rimac, quartier dangereux de Lima, et que dans la pièce noire, entre la fenêtre fermée sur la rue et cet écran devenu fou, se déroule finalement un bref moment d’improbabilité, supplément d’âme non pré-mâché.

 

Il faut donc regarder Arte sans parfois comprendre, accepter la lenteur de ses émissions, mais aussi jouir de son information pointue, de sa gravité et de sa décadence, enfin partir en voyage iniatique chaque jour.

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