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Régis Jauffret, Sévère

À partir d’un fait divers qui fit la une des journaux à scandales en 2005  – le meurtre du banquier français Edouard Stern par sa maîtresse, Cécile Brossard –, Régis Jauffret nous entraîne dans les affres des pensées d’une meurtrière. Le procédé n’est pas nouveau. Stendhal déjà, dans Le Rouge et le Noir, utilisa un fait divers pour bâtir son roman. L’originalité de Régis Jauffret réside peut-être dans sa façon d’aborder l’histoire. Dans un préambule de deux pages, il évoque sa conception de l’écriture, de l’imaginaire de l’écrivain, de la littérature aussi. Celle-ci se sert des histoires rêvées, ou plus ou moins réelles, pour construire des livres. C’est ce que fait Régis Jauffret dans son dernier roman Sévère. Le romancier imagine, comble les zones d’ombre, invente ce qu’il ne sait pas pour rendre le tout vraisemblable. Il ne démontre rien. Il donne seulement à voir au lecteur ce qui aurait pu être et comment cela aurait pu être. Il joue sur la mince ligne qui sépare la fiction de la réalité. Il ne nomme pas les protagonistes. Il y a le mari/kinésithérapeute, l’amant/financier, et « je »/l’amante/l’épouse/la femme. « Dans ce livre, je m’enfonce dans le crime. Je le visite, je le photographie, je le filme, je l’enregistre, je le mixe, je le falsifie. Je suis romancier, je mens comme un meurtrier. » (p. 8).

L’auteur se défend d’écrire sur un fait réel.  « Si certains s’y reconnaissaient, qu’ils se fassent couler un bain » (p. 9). Une touche d’humour pour aborder un sujet grave.

Un financier est assassiné par sa maîtresse. Il est retrouvé mort chez lui, engoncé dans une combinaison de latex. Il a reçu quatre balles, dont deux dans la tête. La narratrice, une femme qui dit « je », apparaît vénale, intéressée, calculatrice, cynique, manipulatrice mais paradoxalement entière, honnête dans sa confession et donc, quelque part, attachante dans sa folie. Peut-être parce que l’image donnée du mort n’est pas très sympathique : un homme violent, sadique, insultant, voire même méchant. Peut-être aussi parce que, même si le meurtre est impardonnable, cette jeune femme semble avoir quelques circonstances atténuantes.

L’argent fait souvent des envieux. Quand s’y ajoute la passion, il arrive que les deux ne fassent pas bon ménage. Mais quand en plus un grain de folie s’en mêle, alors le crime passionnel guette.

Ce récit, même s’il s’inspire d’une histoire réelle, perverse et sordide, ne tombe jamais dans la vulgarité ou le voyeurisme. Au contraire, Régis Jauffret entraîne le lecteur avec lui, en imaginant la relation fusionnelle entre deux êtres, en montrant à quel point une telle relation peut détruire les protagonistes, en mettant en valeur cette fascination/répulsion qu’ils éprouvent tous deux pour leur relation sadomasochiste. Il réussit si bien à entraîner le lecteur avec lui qu’à la fin, on en ressort forcément remué.

 

Régis Jauffret, Sévère, Paris, Seuil, 2010, 17 €.

 

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