Au détour de France
mar, 01/25/2011 - 13:05
La BNF expose une série de clichés de Raymond Depardon qui nous offre son regard lucide et tendre sur les paysages de France.
On entre dans l’exposition en passant devant la photo d’une plage de la Mer du Nord. La moitié inférieure de l’image, occupée par les activités banales des passants et des touristes de bord de mer, contraste avec l’autre moitié, un grand ciel bleu où flottent une nuée de cerfs-volants offrant une teinte poétique à l’image.
La poésie qui se dégage des clichés nous saisit au long de l’exposition. Depardon a parcouru la France pour nous livrer ces photos de villes de province devant lesquelleson ne s’arrête habituellement pas. C’est la France des petites bourgades, des bar-tabacs, des cafés, des petites épiceries. C’est la France des maisons fleuries en bord de route, des caravanes, des ronds-points et des parkings de supermarché : la France moche, pourrait-on penser, l’urbanisme quotidien sans charme.
Et pourtant, Depardon nous donne à voir la beauté qui se cache dans ces vues urbaines familières, qu’à force de voir, on ne regarde plus vraiment. La couleur est omniprésente sur les façades, les enseignes. Le photographe fait ressortir les teintes franches et on a presque la sensation de pouvoir toucher le relief des choses, l’enseigne rouge et blanche du bar-tabac, les légumes sur l’étal de l’épicerie ou l’eau bleu lagon d’une piscine municipale.
Les photos, exposées en très grand format, sont prises à hauteur d’homme et on a l’impression qu’il nous suffirait presque de traverser la route qui se déroule en bas pour entrer chez le boucher ou le coiffeur. On sent un réel attachement, une affection certaine pour cette France populaire. Depardon, lui-même issu d’un milieu très modeste de paysans, porte sur cette province un regard juste et parfois attristé. Il y a peu de présence humaine et quand elle est là, elle est souvent diffuse, presque assimilée à l’architecture : c’est unepersonne qu’on distingue à une fenêtre ou du linge qui sèche dans un coin. S’il y a des gens, le photographe nous assimile à eux, comme sur ce cliché pris dans le Doubs. On y voit un groupe de personnes de dos. Elles regardent dans une direction que notre regard suit pour découvrir une maison en train de brûler sur les hauteurs de la ville. Le visiteur devient à son tour spectateur de l’incendie au même niveau que la foule devant lui.
Très souvent d’ailleurs, on pense connaître ces lieux photographiés tant on les a vus souvent. On se surprend à essayer de deviner où le cliché a été pris tant il nous paraît typique. Typique, mais jamais pittoresque. En gardant une certaine distance, voire une froideur face au sujet, Depardon dompte le pittoresque et évacue l’effet carte postale. Il laisse ainsi une grande place à l’œil du visiteur en nous offrant à voir la réalité. On voit alors une France populaire qui lutte contre la décrépitude de ces murs aux crépis salis, ces carrefours et ces architectures bétonnées sans âmes. Les boutiques sont colorées, les fenêtres sont fleuries. Mais on y sent aussi une critique sous-jacente de l’harmonisation ou mondialisation rampante des goûts et des architectures : le parallélépipède de verre d’un hôtel d’une grande chaîne est posé à côté d’une porte de remparts et les snacks vendent des pizzas et des sandwichs.
Gageons que les visiteurs ressortirontde l’exposition le regard quelque peu modifié sur ces paysages banals. La France, cette vieille femme que l’on ne regarde plus avec ses crépis ridés et gris, Depardon lui rend visite pour lui rendre hommage et nous faire voir différemmentce qu’elle peut encore nous offrir.
JS
La France de Depardon, à la BNF, du 30 septembre 2010 au 9 janvier 2011.