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Belles îles en mer

Plus qu’une invitation au voyage, le sixième roman de King Duflo est une mini encyclopédie sur les îles de la Caraïbe. Il décrit un monde foisonnant, bruyant et attachant sous un angle qui lui tient à cœur, celui de l’unité dans –ou malgré– la différence.

Le voyage commence à Brown’s Town, une grande ville située au Nord de la Jamaïque, où le héros, James, un garçon d’une dizaine d’années, vit avec sa famille. À l’école, l’instituteur explique que Christophe Colomb, qui possédait trois caravelles, a découvert de nombreuses terres, y compris la Jamaïque. L’enfant est fasciné par cette histoire et se met à dévorer des récits d’aventures en mer, d’explorations et de découvertes. Il sait que lui aussi fera le tour du monde. L’enfant voit déjà le jour où il embarquera sur un gros bateau pour partir à la découverte d’autres pays comme le Canada, la Russie ou l’Australie, dont  les noms le font rêver. Ses études secondaires terminées, il se rend à Saint Ann’s Bay et s’engage sur un bateau en partance pour Cuba. C’est alors que commence un périple qui l’emmènera d’île en île, et de surprise en surprise. Dans une lettre adressée à ses parents, il écrit : « Nous sommes allés à Cuba, en Haïti, à la République Dominicaine, à Porto Rico, et maintenant nous nous dirigeons vers des îles au moins dix fois plus petites que la nôtre. J’ai entendu parler d’Anguille, de Saint-Martin et d’autres territoires dont le nom sonne comme des noms de pays imaginaires. J’ai hâte de poser le pied sur un nouveau sol, totalement inconnu et plein de promesses. »

On serait tenté de voir en James un double adolescent de King Duflo, mais l’auteur, professeur de littérature comparée à la Northern Caribbean University de Mandeville, assure que son récit n’est pas une autobiographie et qu’il ne s’est pas inspiré de sa propre vie pour créer son personnage. D’ailleurs l’objet du récit n’est pas tant la personnalité du héros que ce qu’il dit et fait. En effet, l’auteur est spécialiste en littérature créole et s’est déplacé dans toutes les îles de la Mer des Caraïbes. S’il existe un point commun entre l’écrivain et son personnage, c’est donc le voyage, thème récurrent dans les œuvres de King, à l’instar de Max Jeanne dont les textes sont souvent liés à la mer. Ici son écriture est simple et plus légère  que celle à laquelle il a habitué ses lecteurs. Par exemple, dans sa saga en quatre tomes, Soul and Music, qui  raconte la recherche d’un sens à la vie au moyen de la musique et de l’exil et où,  contrairement à ce que le titre pourrait laisser entendre, le ton est sérieux et pessimiste. Bon Voyage James ! prend le temps de dépeindre des paysages et des cultures riches, colorés, dansants, qui rappellent les romans de Gisèle Pineau… sans se limiter à la simple description d’un Eldorado à la sauce créole. Le fait est que le jeune garçon s’émerveille, mais qu’il se rend aussi compte qu’au dos de la carte postale, il y a des réalités qui tranchent avec la bonne humeur, la chaleur et l’atmosphère paisible des lieux qu’il parcourt : « Hier je suis allé danser, il y avait un festival de musique traditionnelle. Les gens étaient très heureux, on dirait qu’ils font ça tout le temps. Mais en rentrant (il était tard), j’ai vu des garçons très jeunes qui buvaient de l’alcool sous un manguier. Et ça m’a fait de la peine.» James apprend peu à peu que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, mais qu’elle est différente.

Néanmoins, il ne s’agit pas d’un conte philosophique ou du récit d’un voyage initiatique. Cette aventure est avant tout celle d’un jeune homme parti dans l’espoir de sillonner les grands continents, mais qui se retrouve confronté à un nouvel univers qui a cependant toujours existé, si près de lui, tout aussi intéressant que les pays qu’il rêvait d’explorer. Cependant, il ne regrette pas que son périple ne le conduise pas plus loin que la Mer des Caraïbes, car « on n’a pas besoin d’aller bien loin pour vivre une aventure intéressante » et formatrice, puisqu’il est frappé par les différences et les similitudes étonnantes et –il ne saurait expliquer pourquoi– réconfortantes, qui lient ces différentes îles entre elles : « Ce sont quasiment les mêmes paysages, la même histoire, les mêmes traditions ! Ici la musique fait vibrer l’âme, la nourriture réchauffe le corps, le rire des gens me ramène à Brown’s Town, à la maison, alors que je suis à des kilomètres de la Jamaïque. J’ai l’impression d’avoir simplement pris la B11 pour aller à Duncans. Figurez-vous que j’ai même mangé des ignames ! ».
King Duflo a sans doute voulu nous faire partager la conclusion à laquelle ses multiples déplacements l’ont conduit, en continuité avec son sujet de thèse : « Creole literature in the twentieth century ». D’un petit monde constitué d’îles coincées entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, il fait une vaste description qui contraste avec leur taille microscopique sur la carte du monde. Le roman de King Duflo est le rassemblement, le rapprochement joyeux et cohérent de plusieurs petits bouts de terre éparpillés à la surface de l’eau. Il met ainsi des mots sur le sentiment confus de proximité qui anime les insulaires caribéens, sans faire de la sociologie ou de l’anthropologie, et ce, en restant accessible à un public qui ne serait pas familier du monde qu’il évoque. En effet, l’accent est mis sur la découverte, ou la redécouverte pour certains. Le  lecteur devient James, qui tel Christophe Colomb, part à l’assaut d’un monde nouveau.   

 

Bon voyage James ! King Duflo

Traduit de l’anglais (Jamaïque) par Noémie Bocage
Editions Bokay, 530 pages, 20 €