Désarroi et renaissance
Exit le fantôme, Philip Roth, Gallimard
"Un livre sur un homme qui sait où trouver son calvaire, et qui y va." Les craintes de Nathan Zuckerman, alter ego récurrent de Philip Roth, sont-elles justifiées ? Pas sûr. Après un exil volontaire de onze ans dans une villa isolée du Massachussets, Zuckerman revient à New York le temps d'une consultation médicale. Nous sommes en 2004 et les téléphones portables sont partout. L'homme est usé. Il guérit d'un cancer et souffre d'incontinence. Sa mémoire se fait capricieuse. Il emprunte à Keats une sentence désabusée : "J'ai constamment le sentiment que ma vie réelle est derrière moi et que je vis une existence posthume."
Mais en quelques heures, l'écrivain taciturne et solitaire est bouleversé par New York, la ville qui "ouvre le champ des possibles" et fait ressurgir l'espoir. Il rencontre par hasard Amy Belette, l'ancienne compagne d'E.I. Lonoff, un écrivain qu'il admire. Puis fait la connaissance de Richard Kliman, un arriviste passionné de littérature qui entreprend une biographie sulfureuse de ce même Lonoff. Voilà Zuckerman tiraillé entre un passé qui s'échappe et un présent qu'il ne comprend pas. En lisant le journal, il tombe sur une annonce étrange : un jeune couple d'écrivains propose d'échanger son appartement new-yorkais pendant un an contre une maison de campagne. Zuckerman n'hésite pas : il téléphone et accepte l'échange. C'est ainsi qu'il fait la connaissance de Billy Davidoff et de son épouse, Jamie Logan.
Jamie est originaire du Texas. Sa famille est riche. Zuckerman tombe vite sous le charme de cette femme vive et passionnée, que la réélection de Bush fait pleurer de rage. Le soir, dans son hôtel, il rédige des dialogues imaginaires entre la jeune femme et lui. Ces dialogues sont des morceaux de bravoure audacieux, vifs et émouvants, dans lesquels se lit la détresse d'un homme pour qui il commence à être trop tard. La détresse, oui, mais pas seulement. Car au contact de Jamie, Zuckerman retrouve des impatiences de jeune homme. D'un côté, il s'accroche à sa solitude et rêve de regagner sa campagne endormie. De l'autre, il brûle de se laisser engloutir par New York et ses charmes imprévisibles, incarnés par Jamie. Ainsi, le roman de Philip Roth se déploie dans un entre-deux indécis. Désarroi ou renaissance ? L'auteur ne tranche pas, c'est au lecteur de choisir. Mais Zuckerman a finalement cet aveu éloquent en forme d'indice : "Peut-être les découvertes les plus puissantes sont-elles réservées pour la fin."
Richard Huitorel