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Emmenez-moi au bout de la terre

  
pochetteSRmini.jpgTout quitter et partir sur un coup de tête à l’autre bout du monde, on en a tous rêvé. Baxter l’a fait, et c’est l’Australie qu’il a choisie pour les accueillir, lui, son sac à dos, et ses carnets de croquis. Il nous livre aujourd’hui le récit de son voyage.
 
Ca commence à l’aéroport. Celui de Brisbane, capitale du Queensland. Un tout juste trentenaire vient d’y atterrir, visa d’un an en poche, sans trop savoir ce qui l’attend. Ni ce qu’il attend. Dès lors, il va se laisser guider par les rencontres et les évènements, avec comme seul « plan » la volonté de découvrir une Australie différente de celles des circuits touristiques classiques. Exit les plages de rêve à l’eau turquoise et leurs ribambelles de surfeurs bronzés ! C’est un désert aride et étouffant que nous découvrons en même temps que l’auteur.
 
Ecolo convaincu (mais qui nous épargne les leçons de morale simplistes et péremptoires), Baxter a travaillé comme volontaire dans une association environnementale, pour laquelle il a replanté des arbres dans des forêts sinistrées par les bushfire répétés, et donné un coup de main dans des réserves animalières perdues au milieu de l’outback ; avant de traverser le désert dans un van de cinquième ou sixième main qui lui aura valu bien des soucis mécaniques ! Sans oublier d’en faire chaque jour un compte-rendu minutieux, dans ce qu’il appelle son « journal graphique ». Sous forme d’illustrations diverses : paysages, croquis, planches de bande dessinée, ainsi que portraits des personnages les plus marquants croisés sur la route. On retiendra notamment ce couple de hippies qui travaille à faire pousser ses propres plants de tabac en prévision de l’après 2012, ou encore ce blondinet de quatre ans qui attrape les serpents à mains nues. Facile quand on est né en plein cœur du bush !
 
Infographiste caché sous un pseudonyme, Baxter a consciencieusement rempli ses petits carnets pour ne rien oublier d’une expérience riche en découvertes. Et s’il a choisi le dessin comme moyen d’expression, c’est justement pour rester le plus fidèle possible à sa réalité : « Je ne suis pas dessinateur, et j’aurais tout aussi bien pu tenir mon journal de manière textuelle. Mais quand j’écris, j’ai tendance à laisser parler les émotions, à suivre les pensées. Alors qu’avec le dessin, j’essaie d’être plus objectif, je m’applique à retranscrire chaque détail, je me concentre vraiment sur la réalité des choses et des situations, sur le fait. Or je voulais d’abord me rappeler des faits. Pas mes petits états d’âme ! Et puis, je suis graphiste, j’ai quand même une mémoire très visuelle… »
 
Sans jamais penser, au cours de son périple, à une éventuelle publication. C’est par hasard que la Boîte à Bulles, petite maison d’édition BD spécialisée dans la découverte de jeunes auteurs, est tombéesur ses travaux : via un blog destiné à garder le contact avec les proches, et sur lequel le jeune homme publiait quelques-unes de ses pages de carnet. Avec une fréquence plus ou moins aléatoire car il n’est pas toujours facile de trouver une connexion internet dans le désert australien ! L’édition papier présente d’ailleurs beaucoup de notes inédites : impressions rétrospectives,planches qui n’avaient pas trouvé leur place sur le blog, ou qui exigeaient d’être retravaillées. Aux dessins se mêlent également des photos prises pendant le voyage, certaines pages combinant images réelles et illustrations, dans des montages où les éléments graphiques (personnages, bulles, éléments de décor…) viennent s’intégrer à un paysage photographié. D’ailleurs, l’auteur lui-même n’apparaît qu’en personnage dessiné. Ainsi, sur toutes les photos il est présent, visage et silhouette ont été effacés puis redessinés pour donner vie à son double graphique. « Ce qui est intéressant, et beau, ce sont ces paysages fabuleux, ces animaux et ces gens incroyables. C’est eux que je voulais montrer ! Moi, on n’a pas besoin de voir ma tête, tout le monde s’en fout ! ».
 
On savait que le récit de voyage se prêtait particulièrement bien au support du roman graphique. En témoignent plusieurs réussites du genre (Thompson, Blain, Ferrandez, et bien d’autres…). Ici, le jeu de photomontages y apporte une nouvelle dimension surprenante, créant une œuvre originale et hybride, qui oscille sans cesse entre bande dessinée et photos de vacances, couleur et noir et blanc, dessin réaliste et trait plus relâché. Formes et supports se mêlent tout au long du livre, au gré des humeurs de l’auteur, et le résultat est efficace, aussi agréable à lire qu’à regarder. On se laisse entraîner sur les routes chaotiques et poussiéreuses de l’Australie profonde en croisant des kangourous par dizaines ; on se surprend à rêver de partager une bonne bière fraîche avec un pur Aussie,à la peau tannée par le soleil du Queensland, qui nous donnerait du « No worries, mate ! » à tout va. Dépaysant.
 
Quant à savoir si le fait d’avoir été publié a fait naître une vocation de bédéiste… pas sûr !
« Je n’ai pas fait de la BD, j’ai tenu un journal sur un moment clé de ma vie. Après, j’ai eu la chance d’être édité, mais la démarche reste très différente. Etre assez créatif pour construire une vraie BD, avec un scénario et des personnages qui tiennent la route, et assez rigoureux pour bosser dessus plusieurs heures par jour, ça je ne m’en sens absolument pas capable ! ». Dommage, car le coup de crayon, plutôt personnel et dénué de tics, semblait très prometteur pour un premier essai. Mais que ceux qui veulent prolonger le voyage se rassurent ! Conçu pour être un diptyque, le second tome, qui devrait paraître sous peu, nous emmènera cette fois dans une réserve aborigène du côté de Darwin, dans le nord, où l’auteur a partagé pendant deux mois la vie de la tribu, avant de rentrer dans son Paris natal. On réserve déjà notre billet !
 
BAXTER, Sable Rouge, La Boite à Bulles, collection Hors Champs, 183p. (octobre 2010)