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Joris Melchior, les mots et le corps

            Joris Melchior a 21 ans et doit mourir. La terrible maladie qui le voue depuis sa naissance à une fin prématurée n'a jamais quitté son esprit. Son premier – et sans doute, hélas, dernier – roman est le témoignage d'une conscience trop lucide de la finitude humaine, dont l'acuité saisit de la vie jusqu'aux plus infimes plaisirs. Et les nombreuses souffrances.

 

            « Gelé par l'attente des premiers soupçons de l'aurore, j'évaluais perclus et impuissant dans chaque respiration l'intensité de la douleur, périodique et exacte, monnaie d'échange de l'oxygène vital. »
            L'arbrisseau, autobiographie rêveuse d'un auteur à la maturité surprenante, est un voyage métaphysique qu'on ne veut pas achever. Atteint de la maladie de Biermer, qui touche la moëlle épinière, Joris souffre d'une dégénérescence généralisée qui a frustré ce tempérament actif de deux de ses amours, la natation et la randonnée. Lui restent les livres, fidèles consolateurs des jours d'alitement.
            Organisé en trois élans successifs, comme trois vagues qui se recouvrent les unes les autres (mais on sait bien que les vagues meurent et se retirent, lissant le palimpseste de sable de la plage), le livre reprend trois fois 20 années sous le signe de l'eau, de la terre et de l'air, comme pour retenir le temps qui a passé dans le fin tamis de la matière. Il y a l'eau d'abord, le fluide amniotique, la fascination du torrent « au débit trop rapide pour le reste, irréversible », les joies et la camaraderie de la piscine olympique. S'y superpose la terre, socle de tout, de la maison, des pieds, mais aussi des efforts et des espoirs : « Trop rarement le ''second souffle'' me happait, but unique et inavoué de mon pèlerinage vers rien. ». Le troisième mouvement, celui de l'air, subtil, est vécu en intime, dans les poumons malades, élément décharnant, insaisissable. La plume de Melchior y danse en virtuose, la prose se détache de la page pour signifier à même les choses, laissant à d'autres les paraboles atmosphériques et les circonvolutions vides : parole libérée, sans but et sans cause.
            Ce livre qu'on lit d'une traite, comme en apnée, poussé par le sentiment de quelqu'urgence, n'a pas été écrit pour nous. Écrit dans des carnets que des parents indiscrets ouvrirent à l'insu de Joris, il fait aujourd'hui phénomène sur les tables des libraires. On se repaît de ses vérités sévères et franches comme à un dernier festin, au moment même où le jeune homme se bat seul contre la maladie.
            L'arbrisseau, cette tige frêle que Melchior prend pour emblème, pousse droit sur les pentes des montagnes vosgiennes au milieu desquelles il a grandi ; ses racines fouissent profond la rocaille. S'il disparaît, il aura malgré tout laissé de son vivant un livre merveilleux, une ode à la sensation vitale pure, telle que la nature montagneuse peut l'offrir, avec en filigrane un memento mori effrayant.
 
Joris Melchior, L'arbrisseau, éditions Hors jeu, janvier 2013, 120 p., 10€