Skip to Content

Le Harcèlement moral, de Marie-France Hirigoyen

 

Le Harcèlement moral est un ouvrage paru il y a plus de dix ans, mais qui devrait, si ce n’est pas déjà le cas, et après un succès déjà extraordinaire en 1998, avoir ce que l’on appelle une seconde vie, en ces temps où la pression en entreprise peut mener jusqu’au suicide, France Télécom n’ayant pas l’exclusivité de ce phénomène de société inquiétant.

 

Des conditions de travail en entreprise mortifères, un supérieur hiérarchique pervers, certes. Mais le harcèlement moral ne se cantonne pas à la sphère bien définie d’une carrière professionnelle. Car la violence perverse est potentiellement partout, : dans une société, mais aussi dans un cadre familial, dans le couple.

 

Potentiellement ? Marie-France Hirigoyen montre, à travers une analyse finement ciselée du harcèlement, que cette méthode de communication, ou plutôt de non communication, ultra-violente et menée à des fins de domination, peut être adoptée par tout un chacun, à une période de sa vie. Un temps court, évidemment. Car ce qui différencie le pervers de l’individu qui en usera pour une raison ou pour une autre, – obtenir quelque chose de précis dans le cadre de son travail, faire faire une promesse à son conjoint, « soudoyer » son enfant –, c’est l’acharnement avec lequel il le fera.

 

Et que fera-t-il exactement ? Déformer le langage, refuser la communication directe, mentir, diviser pour mieux régner, voilà quelques-unes des armes redoutables que l’individu en position de harceleur utilisera, afin d’imposer son pouvoir.

 

A la lecture de l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen, et malgré la connaissance de cette notion de perversité latente, on ne peut s’empêcher de sombrer dans une sorte de paranoïa peu productive. A travers de multiples exemples, (« scènes de la vie conjugale », « scènes de la vie en société »), mais aussi à travers les descriptions de processus de manipulation, l’on ne peut s’empêcher de reconnaître quelqu’un que l’on a connu, que l’on fréquente toujours, de s’interroger sur ses proches, et, plus effrayant, sur soi-même. A moins que le simple fait de se poser la question « suis-je un harceleur d’occasion ou un réel pervers », ne soit en soi, une réponse. Il faut voir.

 

Cette étude aide à déceler le phénomène, peut-être à s’en prémunir, mais elle ne doit être prise qu’en tant qu’étude informative ; il faut la lire en somme avec suffisamment de distance pour ne pas plonger dans une autre perversion : un syndrome de persécution stérile.

 

Le simple fait de s’interroger sur le fil du rasoir délimitant d’un côté la fiction et de l’autre la réalité, montre bien la perversité du harcèlement moral. Car il est extrêmement difficile de réagir face à un individu harceleur, narcisse manipulateur, vampire mégalomane. Communiquer avec ce qui devient au fur et à mesure de la relation, que ce soit à la maison ou au travail, un agresseur, se révèle être d’une violence extrême. Il ne s’agit pas de coups, peu souvent d’insultes caractérisées, mais de tout un lot de non-dits, de retournements de situations, qui seraient seulement tragi-comiques si la systématisation de leur usage n’en venait à rendre fou tout individu, et à faire de lui une victime.

 

Agresseur, victime : un vocabulaire rattaché dans l’esprit de chacun au domaine de la criminologie, aux faits tangibles, aux armes, aux coups, pire, aux cadavres. L’expression de mort violente est appliquée aux décès qui font suite à toute sorte d’accidents dramatiques, de meurtres. La mort violente s’opposerait donc à la mort naturelle. Dans le cadre du harcèlement moral, c’est de meurtre psychique qu’il s’agit. La victime est physiquement en vie, mais tout, en elle, a été détruit. Chosifiée par son agresseur, victime de stress à haute dose, elle s’isole. Il ne lui reste souvent, comme lien avec l’extérieur, que la personne même qui l’a fait devenir si faible psychologiquement, et avec qui elle entretient un rapport de dépendance.

 

Entreprise, famille, couple : le phénomène reste, à quelques différences près, le même. Marie-France Hirigoyen nous aide à le déceler, afin de ne pas tomber sous la coupe de ces individus pervers que nous pouvons tous rencontrer au cours de nos vies. Cet ouvrage invite à la vigilance et surtout incite au passage à l’action, le cas échéant: trouver de l’aide, solliciter la justice s’il le faut, et enfin guérir.