Skip to Content

Le souffle de l'écriture

         Un voyage aux allures de quête  identitaire, une route longue et incertaine vers la liberté et en ligne d'horizon, l'écriture salvatrice. Avec Encre de vie, Maëlle Urvoy s'essaie, avec bonheur, au genre pourtant éculé du roman d'initiation. Un rythme enlevé, un style épuré et une bonne dose de dérision. Le résultat est convaincant.

Il suffit parfois de presque rien pour éveiller un désir de lecture : un titre évocateur,  une couverture suggestive, trois lignes lues au hasard d'une page. Le nouveau roman de cette auteure désormais confirmée, lauréate du prix Yourcenar 2006 pour Malo, l'enfant du phare et après Du velours sous les doigts publié en 2009, multiplie les petites étincelles qui, au final, font jaillir une œuvre lumineuse, éclairée et éclairante.

 

            L'histoire est celle de Clara, une jeune femme brillante mais un peu paumée, à l'étroit dans une vie  normée, rassurante et sans surprise. Un jour de trop dans cette routine et la voilà qui décide de tout plaquer, de quitter Paris et de partir à la recherche de sa famille biologique, là-bas, quelque part sur le continent sud-américain où elle est née, vingt-huit ans plus tôt. Abandonnée à la naissance, elle sait peu de choses sur ses origines, consciencieusement dissimulées par des parents adoptifs, « soucieux de protéger leur fille chérie ». Elle va alors parcourir des milliers de kilomètres, à la recherche  du moindre renseignement, visitant institutions, administrations, hôpitaux...

            Un récit rapporté par un narrateur, absent de l'histoire, qui s'exprime à la troisième personne. La volonté de mettre à distance, d'offrir un regard surplombant sur l'histoire et les personnages. Et en alternance, les fragments d'un journal, écrits à la première personne, par Clara, qui plongent le lecteur au cœur de l'histoire. 

            Pour retrouver ses parents biologiques, Clara se frotte aux classes sociales les plus diverses, rencontre toutes sortes d'individus plus ou moins décalés, en équilibre incertain ou franchement à la dérive parmi lesquels « des révolutionnaires, des prostituées, des repris de justice et des rescapés de justesse »… Partager leur vie va peu à peu ôter le vernis qui maintenait sa conscience à la surface des choses. Elle côtoie la misère et l'injustice, celle des favélas où la plupart des hommes « triment quinze heures par jour. Pour un salaire qui ne leur permet même pas d'assurer deux repas par jour à leur famille. Ici, la violence est d'abord économique et l'humiliation, sociale ! ». Elle se confronte aussi à la douleur du deuil, à la fragilité de l'existence, « poignée de sable jetée brutalement au visage par une mort indécente, irrecevable ». Et puis elle découvre la beauté des vraies rencontres, celles qui « bouleversent et laissent leur empreinte au plus profond de la peau », et apprend la valeur d'une vie choisie, « Prononcer un adieu était toujours un déchirement. La liberté était à ce prix. Douloureuse mais exaltante ». Au terme de son parcours, Clara retrouvera ses parents, à regret, et pour le pire,  découvrant, comme elle le souligne dans son journal, « des êtres dénués d'intérêt, qui méritaient tout sauf d'être connus. […] S'ils étaient à l'origine de ma présence au monde, j'étais heureuse de ne pas leur devoir davantage et surtout pas ce que j'aurais pu devenir ». On l'aura compris, l'essentiel de l'histoire se joue ailleurs, dans cette quête immanente à tout être humain, celle d'un sens à donner à sa vie.

 

Le récit nous transporte des étendues salées du Pérou aux plages mythiques d'Acapulco, des mines d'or de Serra Pelada aux bordels de Valparaiso. Le choix d'une traversée du continent sud-américain ne doit rien au hasard. Il s'inscrit dans la logique du récit mais aussi au-delà. Depuis les espaces encore sauvages et désertiques de la cordillère des Andes jusqu'aux bidonvilles de Rio grouillants et dégueulant leur misère, le décor interroge le rapport de l'être humain à la nature et au monde, « cette obstination tragique et irrépressible de l'homme à transformer, quoiqu'il en coûte, tout ce qui l'entoure en vaste dépotoir ».

            Le journal de Clara nous entraîne aussi dans les méandres d'une autre géographie, intérieure celle-là. Un voyage introspectif qui interroge la force de  l'écriture, le besoin vital qui la fait naître. Un espace où les mots sont un élan vers l'autre et vers soi. Où écrire s'apparente à « une respiration, un souffle puissant qui emporte ». Et où la solitude qui l'accompagne est vécue comme un moment de grâce, un « instant d'extase ».

            On retrouve, dans le troisième roman de Maëlle Urvoy,  le style épuré et fragmentaire de ses deux précédents ouvrages. Un style qui épouse parfaitement le rythme et la dynamique du récit, tout comme le ton incisif (peut-être un peu trop quelquefois) et l'économie des mots traduisent efficacement ce besoin de l'héroïne d'aller à l'essentiel, sans perdre de temps : « La vie, pas confiance, trop courte, trop versatile », annonce d'emblée Clara au début de son journal.

            Grâce à un ton qui ne manque ni d'humour ni de dérision, on échappe au mélo et au larmoyant, même dans des moments aussi graves que les retrouvailles de l'héroïne avec son père : « S'il est vrai qu'on ne choisit pas sa famille, mon père, lui, avait choisi de m'abandonner, et il avait bien fait, pour moi ! ».  Une distanciation qui permet au récit de ne pas basculer dans l'analyse psychologique, écueil que l'auteure évite avec un talent indéniable et qui contribue à la réussite du roman. Un roman initiatique dont la force essentielle et singulière est d'interroger sans résoudre, de jouer sur la tension entre les possibles, sans jamais trancher. K.L.

Maëlle Urvoy est née en 1978, à Brest. Historienne d'art et photographe, elle vit actuellement à Buenos-Aires.

Encre de vie, de Maëlle Urvoy, Nantes, Ys éditions, 2011, 258 pages, 12€.

 

Laurence Patarit