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Le Temps sauvage

Le temps sauvage

 

 

À l’occasion du bicentenaire des Indépendances d’Amérique Latine, l’écrivain uruguayen Ainos Liscorio publie Les Feuilles blanches, un premier roman poignant dont l’intensité du récit puise son énergie dans la dimension humaine de ses personnages. 

 

Novembre 2005, Carlos est de retour à Montevideo après 20 ans d’exil. Il rencontre une jeune femme, Luz, enfant de dissidents, qui est à la recherche de ses parents. Incarcéré et torturé pendant 13 ans pour avoir participé au mouvement des Tupamaros en 1972, il découvre l’écriture en prison et échappe de justesse à la folie. Son témoignage de l’horreur mène alors Luz sur une nouvelle piste : le Pénitencier de la Liberté. Devenu le mémorial des victimes de la dictature, elle y trouvera le nom de sa mère inscrit sur un registre et, avec l’aide de Carlos, commencera à écrire sa propre histoire.

L’approche historique de la réalité carcérale sous le régime de Juan María Bordaberry se construit à travers la mémoire de Carlos et le regard neuf de Luz. Adoptée, ignorant l’histoire de ses parents biologiques, elle voit se dessiner les images de son passé au fur et à mesure des révélations de l’écrivain. À tour de rôle, ils se livrent sans cri ni fureur sur leur souffrance et s’unissent pour comprendre l’inimaginable : « le dégoût qu’inspire votre propre corps, l’officier qui torture et affirme sa prétention à être juste, le soldat qui s’amuse à faire en sorte que le prisonnier se cogne la tête contre le mur. C’est aussi cela, l’être humain. »

Jeune auteur, Ainos Liscorio réussit à bâtir une œuvre tout intériorisée afin de rendre compte de la fracture de l’être. Sans voyeurisme ni sensationnalisme, il confronte les souvenirs crus et épars d’un homme en lutte à l’absence d’identité d’une jeune femme pour conserver ce qu’ils ont de plus précieux : leur dignité.

Après avoir subi les atrocités de la dictature militaire, comment Luz et Carlos parviennent-ils à survivre à une telle tragédie ? Où commence la reconstruction de leur identité ? En quête d’un chemin de vie, « c’est par la révélation, lorsque les maux se transforment en mots qu’une nouvelle voie peut s’ouvrir », explique Ainos Liscorio. « Si Carlos devient écrivain en prison, ce n’est pas un hasard. Sous les sévices de ses tortionnaires, il n’a pas d’autre choix que de s’inventer une autre réalité pour survivre », ajoute-t-il.

Par l’utilisation de la tournure elliptique, l’auteur sauve le lecteur d’une empathie qui aurait pu être trop lourde. « Je ne pouvais pas traduire plus d’une page par jour tellement le texte est éprouvant », confie Félix St-Lu, le traducteur. Face à une écriture dense et imagée, dont les détails ne laissent pas la place à une autre représentation, la mise à distance est une nécessité  pour que la lecture aboutisse au point final de l’œuvre.

Entre fiction et réalité, les frontières sont floues dans ce roman. Lire Les Feuilles blanches c’est comme faire un mauvais rêve dont l’émotion vous saisit au réveil.

 

Sonia Lambert

 

Les Feuilles blanches d’Ainos Liscorio

Traduit de l’espagnol par Félix St-Lu

Éd. Scribe, 342 pages, 22€.