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L'ère du vide en roman

 Mes illusions donnent sur la cour, Sacha Sperling / © Librairie Arthème Fayard 2009

 

 

L’ère du vide expliqué aux amateurs de romans

 

Pluie de septembre. Sacha va rentrer en troisième au collège de Lorraine. Dans le train qui le ramène de Deauville, où il a passé la fin des vacances avec sa mère, il fait la connaissance d’Augustin. Le hasard leur redonne rendez-vous le jour de la rentrée dans un magasin de chaussures. Bientôt ils deviennent inséparables. Le temps pour Sacha d’atteindre « le point où tout disparait ».

L’histoire d’un enfant élevé dans les beaux quartiers, qui paume sa personnalité dans celle d’un autre pour mieux la voir se dégrader. La voir en tous cas. Auprès d’Augustin l’adolescent en détresse se maintient dans un état végétatif qui le soustrait de façon satisfaisante au vide dans lequel il est aspiré. Mais en lui se noue déjà une tension entre l’obligation de se construire et la tentation de se détruire.

Le personnage de Sacha ne se résume pourtant pas au portrait d’un apprenti-voyou de 14 ans en quête de sensations fortes, prêt à tout tenter, sans quoi il ne jouerait qu’un rôle de victime. En réalité il agite aussi l’épouvantail d’un socio-type bien normé : la figure de l’adolescent morose issu d’une famille monoparentale à court d’autorité, qui ne sent que le silence de sa solitude l’oppresser. Livré à lui-même dans le grand Paris qui scintille, il demeure profondément indifférent à son échec scolaire. Ses vacances, il les passe toujours au soleil quelque part à l’autre bout du monde, là où sa mère a réservé un hôtel. Les apparitions sporadiques de son père, il les tient pour des remèdes artificiels à son absence. Pour lui, elles ne sont que de coupables mises en scènes. C’est pourquoi la relation engagée avec Augustin s’avère être, pour un temps du moins, un parfait palliatif aux manquements structurels de son éducation. Surtout, elle suscite chez lui des attentes nouvelles qui absorbent son angoissante sensation de vide.

S’installer dans le mensonge pour jouir égoïstement de plaisirs éphémères quitte à y laisser ses défenses et son estime de soi, voila une analyse bien amère de la transition vers l’âge adulte. Le jeune auteur y souscrit avec pas mal d’ironie dans le jugement et aussi une bonne dose de narcissisme. C’est un premier roman.   

En effet au contact d’Augustin Sacha espère dissoudre sa misère intérieure ; il ne fait que la promener de soirées en soirées, d’escapades périlleuses en expériences extrêmes, bravant des interdits qui n’en sont plus, trompant son monde, souffrant au fond de ne pouvoir donner un sens à ses actes. Persuadé d’être amoureux, notre héros succombe en vérité à une sorte de fascination pour la capacité d’Augustin à « se nourrir des émotions des autres ». Car Augustin le pousse en définitive plutôt à se retrancher encore davantage dans un repli de lui-même.

Au-delà de l’ambigüité des relations entre Augustin et Sacha, l’auteur évoque un certain malaise social. Si son roman se situe assurément en dehors de tout moralisme - nul besoin de pointer un relâchement évident des valeurs - il distribue quand même par petites touches et non sans un certain talent pour la provocation, la somme des problèmes auxquels s’expose une société désertée par le rêve et sacrifiée sur l’autel de l’individualisme ; bref une société profondément enlisée dans la dépression. La technique consiste notamment à introduire dans le récit de brefs commentaires écrits en italiques pour bien séparer le cours de l’action narrée d’avec le ressenti qu’en a le personnage. Ces incises constituent ensemble un métadiscours venant doubler la narration première, et par lequel le personnage rapporte ce que lui inspire le déroulement des faits ; il peut s’agir de réminiscences assez longues, mais aussi de pensées brèves, ou furtives, en tous cas liées aux circonstances immédiates. Par exemple :     

« Ce soir, alors que j’essaie de m’endormir, je pense à la fin du monde. (…). Quand mes solitudes résonnent dans l’hiver de ma chambre. Je vais chercher une cigarette que je fume, comme en cachette, dans mon lit. La solitude grandit, elle devient douloureuse. Elle résonne de plus en plus fort. De plus en plus violemment. Je dois téléphoner, prendre contact avec un autre. N’importe quel autre. La solitude se matérialise peu à peu. Elle a un visage, elle te regarde droit dans l’estomac. Il est trop tard pour que j’appelle quelqu’un. J’ai besoin de fuir au moment où j’ai peur de ma peur. La solitude commence à te séduire. Le vent au dehors m’oblige, par convention, à me sentir bien dans mon lit chaud ; mais je ne peux rien contre l’envie de me sentir glacé. La solitude t’embrasse et sa langue s’en va loin dans tes entrailles. Comme une main qui attraperait ton cœur et le serrerait très fort. Je mets la télé, de la musique et de la lumière. Je chasse les ombres, une à une. » p. 63

Sacha dans sa relation avec Augustin est donc au cœur d’un propos relativement critique sur la société. De quoi sont véritablement faits les rapports humains ? Quels sont les termes de l’affectivité ? L’intuition qu’a Sacha d’ « un point où tout disparaît » peut s’interpréter comme la fusion absolue de couples d’éléments proches mais de composition nécessairement opposée. Il en donne plusieurs représentations : là où la mer rencontre le ciel, quand la forêt n’a plus d’horizon, quand le sang sèche sur le goudron, quand la lumière des réverbères passe pour celle, millénaire que diffusent les étoiles. A mesure qu’Augustin s’éloigne, l’obsession se dissipe et Sacha, qui réalise la vanité de ses sentiments, saisit enfin les contours de sa personnalité ; accepte sa propre finitude. Un pas vers l’âge adulte a incontestablement été franchi.            F.H.

 

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Mes illusions donnent sur la cour, Sacha Sperling, Fayard 2009

Titre: Mes illusions donnent sur la courAuteur: Sacha perlingEditeur: FayardAnnée: 2009