Le vendredi 13 novembre dernier, le contre-ténor Philippe Jaroussky a présenté son nouveau disque à la FnacMontparnasse (136, rue de Rennes, 75006), "Jean-Chrétien Bach. La dolce fiamma. Airs de castrats oubliés". La présentation a pris la forme d'une interview orchestrée par le critique musical Gérard Mannoni, oscillant entre présentation du chanteur lui-même et présentation du disque, avec, à la clef, la projection sur grand écran d'extraits du film de l'enregistrement.

    C'est presque naturellement que Philippe Jaroussky est entré dans le monde de la musique. Petit, il était attiré par le monde artistique, notamment par le dessin, et chantait avec une voix aiguë. Son professeur de musique au collège, percevant son sens musical, incita alors les parents du jeune adolescent à l'inscrire au conservatoire: Philippe Jaroussky commença le violon à l'âge de onze ans.

    Cependant, ne sachant quoi faire plus tard, il entreprit des études de piano et d'harmonie pour se diriger, peut-être vers, la direction de choeurs.  Mais le chemin fut tout autre: Philippe Jaroussky assista à un concert du sopraniste Fabrice di Falco, et fut fasciné par sa voix. Il contacta alors le professeur de chant de cet artiste, lequel devint  son professeur — et l'est encore aujourd'hui. C'est de cette façon que naquit sa vocation, terme qui, par l'étymologie, renvoie précisément à la voix, ce que rappelle en souriant le contre-ténor.

    La voix de contre-ténor, on le sait, est une voix de tête, par opposition à la voix de poitrine, et il faut distinguer le contre-ténor du haute-contre, ténor aigu qui, de temps en temps, se sert de la voix de tête. Le premier extrait — "La legge accetto", air ajouté par Jean-Chrétien Bach à l'opéra Orfeo ed Euridice à la fin du premier acte — en fut une belle illustration.

    Ce nouveau disque constitue un apport non négligeable dans la connaissance de Jean-Chrétien Bach, le dernier fils de Jean-Sébastien. Contrairement à son père, Jean-Chrétien ne fut pas un compositeur d'église, mais un compositeur d'opéra qui, à l'image de Haendel, voyagea en Italie et à Londres.

    Philippe Jaroussky le découvrit assez tardivement, car le répertoire entre Haendel et Mozart ne l'intéressait guère. Petit à petit, cependant, cette période qui vit l'avènement de Cimarosa et de Gluck, commença à attirer le contre-ténor.

    Au départ, l'idée était d'enregistrer un disque sur Mozart avec le Cercle de l'Harmonie dirigé par Jérémie Rohrer. Mais Mozart est soit trop aigu, soit trop grave pour un contre-ténor. On s'orienta alors vers l'entourage du compositeur viennois, et le choix se porta sur Jean-Chrétien Bach, qui introduisit l'école italienne à Londres. Les apports de ce musicien à l'orchestration furent nombreux, et Mozart s'inspira largement des cuivres et des vents qui entrent en dialogue avec la voix. Le dernier fils de Bach fut ainsi l'un des musiciens de la transition entre le baroque et le classique, marquée, entre autres, par l'avènement d'un nouvel instrument: le piano forte. Jean-Chrétien Bach fut l'un des premiers à défendre cet instrument qui constitua une véritable révolution dans le timbre. L'air "Io ti lascio" illustre bien l'engouement de ce compositeur pour le piano forte.

    Jean-Chrétien Bach était, par ailleurs, attaché à l'épuration de la ligne vocale. Ses airs ne sont pas pour autant faciles à chanter, du fait de phrases musicales parfois très longues. Si leur enregistrement fut un véritable défi pour Philippe Jaroussky, comparable à celui que releva Cecilia Bartoli, la célèbre mezzo-soprano, en consacrant son dernier disque à des airs de castrats, ce fut un défi motivant. Car outre la difficulté inhérente à la musique de Jean-Chrétien Bach, les airs de castrats (ce disque, rappelons-le, propose des "airs de castrats oubliés") posent un probmème supplémentaire : comme ces hommes chantaient en voix de poitrine, le contre-ténor doit essayer de se rapprocher de leur technique tout en sachant qu'il n'a pas les mêmes facultés qu'eux.

    Pour terminer cet entretien, Philippe Jaroussky a expliqué pourquoi il avait enregistré un disque de mélodies françaises intitulé Opium : c'est l'envie forte de chanter dans sa langue maternelle qui l'a poussé à s'aventurer dans ce répertoire du tournant des XIXe et XXe siècles, riche en mélodies françaises. Ce disque, d'ailleurs, n'est pas si éloigné qu'on pourrait le penser de celui qu'il a consacré à Jean-Chrétien Bach, puisque certaines mélodies recèlent une simplicité et une épuration vocale comparables, comme "Offrande" de Reynaldo Hahn. Le contre-ténor a également évoqué ses projets, liés notamment à des pièces contemporaines, comme cet opéra sur Le Caravage que l'on pourra découvrir en 2012 . Philippe Jaroussky s'est d'ailleurs dit très curieux de voir comment un compositeur s'inspire de sa voix. Ce fut l'occasion, justement, d'écouter une dernière fois cette voix avec l'air "Cara, la dolce fiamma" tiré de l'opéra Adriano in Siria de Jean-Chrétien Bach.

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