Portrait de Lorenzaccio en milicien, Antoine Billot
Du Lorenzaccio de Musset, Antoine Billot tire un brillant palimpseste. Il écrit par-dessus la pièce, respectant avec une rigueur admirable non seulement la construction mais également un bon nombre de détails annexes. La réécriture est audacieuse toutefois, puisque l’histoire change de décor, radicalement. Et le tout fonctionne à merveille. L’intrigue de l’original, qui avait lieu dans la sulfureuse Florence du XVIe siècle, gouvernée par l’Allemagne de Charles Quint et à la solde d’un tyran, l’intrigue, donc, se voit transposée dans la France de 1943, occupée par Hitler, dit le « Moloch moustachu ». Autres temps, autres tyrannies. Mais l’absurdité et la monstruosité sont toujours là, l’évocation du mal est toujours aussi puissante.
Dans cette atmosphère empesée, héros sombre ou plutôt antihéros, le Lorenzaccio d’Antoine Billot gagne plus en noirceur que le personnage initial dont il est inspiré. On se souvient d’un Lorenzo, chez Musset, dont le manège criminel se voit « justifié » par le bien-fondé dans l’action politique, où le désir de liberté et la poursuite des idéaux motivent une résistance violente face au pouvoir absolu. La question étant de savoir si être résistant suffit pour légitimer l’avilissement moral et la souillure. Aucune rébellion chez Antoine Billot, aucune lutte contre le pouvoir de la France pétainiste : le portrait de Lorenzaccio en milicien, c’est celui d’un être désabusé et cynique, abandonnant tout idéal, un Lacombe Lucien réinventé. C’est celui d’un mélancolique et d’un effronté marqué par la défaite de 1940, un jeune paumé de vingt ans qui n’a plus d’espérance et qui, par dépit sentimental, s’engage dans la milice aux côtés de son oncle — Alexandre Leduc, fraîchement nommé préfet par le gouvernement de Vichy.
Lorent, tel est son véritable nom, va dès lors faire l’expérience de la cruauté et de la violence, de la débauche aussi, « apprentissages qui se ressemblent ». Terroriste malheureux, c’est avec un air de résignation qu’il s’enfonce dans le mal et les excès en tout genre. Complètement désenchanté, ce n’est finalement que par un triste concours de circonstance, par une haine aveugle qu’il paraît choisir (fortement encouragé) la voie de la collaboration plutôt que l’appel de la résistance. Délation, torture, ivresse du pouvoir, libertinage, mort… C’est une descente permanente dans les ténèbres et dans la crasse, partagée entre haine de l’autre et haine de soi, toujours nourrie d’horreur. D’ailleurs, on sent poindre l’angoisse chez ce Lorenzaccio, et quoique pauvre type, on finit par l’aimer, un peu, par le comprendre aussi.
Et puis, dans un wagon, qui emporte Lorent vers une impensable fin, il y aura Emma. Emma, la jeune juive, Emma, la rédemption, qui offre son carnet pour y confier l’aveu, l’ultime confession d’un enfant du siècle.
Dans un style enlevé et étourdissant, Antoine Billot retrace l’histoire forte d’une sombre destinée. Celle d’un garçon en 1943, victime d’un nouveau mal du siècle et peut-être trop rongé par la mélancolie, dont « l’imagination ouvre parfois des ailes vastes comme le ciel dans un cachot aussi grand que la main. »
Antoine Billot, Portrait de Lorenzaccio en milicien, Gallimard, coll. L’un et l’autre, 2010, 190 p.