Dès ses débuts, le cinéma, avide d’histoires, a largement puisé son inspiration dans les livres. Aujourd’hui, l’adaptation est devenue une pratique courante et l’on ne compte plus les œuvres transposées sur grand écran. À l’heure où les images sont reines, à l’heure où la lecture tend à se marginaliser, le cinéma continue de piocher sa matière première dans la littérature, prouvant peut-être là que le livre n’est pas une espèce d’un autre temps, en voie d’extinction.
 

Harry Potter et le prince de sang mêlé
, Le Petit Nicolas, Twilight, Chapitre II : Tentation. Ces trois films figurent parmi les dix films en tête du box office français de 2009. Qu’ont-ils d’autre en commun ? Ils sont tous les trois adaptés de livres à succès, respectivement des œuvres de J. K. Rowling, René Goscinny et Stephenie Meyer. Si leur qualité fait débat, ces films témoignent sans conteste du succès que les adaptations rencontrent aujourd’hui auprès du grand public. Ce sont d’ailleurs deux adaptations qui ont pris la tête du classement provisoire des films sortis en France en 2010 : Alice au pays des merveilles, l’adaptation du roman de Lewis Carroll par Tim Burton (4 351 298 d’entrées), et La Princesse et la Grenouille, film d'animation des
studios Disney, inspiré du livre La Princesse Grenouille, écrit par E.D. Baker (3 717 849 d’entrées).
 
La reconnaissance vient également des professionnels : en France, de très nombreux films ayant obtenu le « César du meilleur film » sont adaptés d’œuvres littéraires (Le Pianiste et Lady Chatterley pour les plus récents). Depuis 2005, pour remettre le prix du meilleur scénario, la grand-messe du cinéma français fait même la distinction entre le « César du meilleur scénario original » et le « César de la meilleure adaptation ». L’adaptation est devenue un genre à part entière, et le principal filon de l’industrie cinématographique.
 
Pourquoi un tel engouement du cinéma pour l’adaptation ? Dans le cas des adaptations de best-sellers, la notoriété du livre d’origine est un gage de succès et de rentabilité. Si un ouvrage s’est vendu à des milliers d’exemplaires, son adaptation au cinéma attirera un large public, les inconditionnels du livre, mais aussi bon nombre de curieux qui n’en auront pas lu la moindre ligne. Selon certains, le phénomène de l’adaptation témoignerait par ailleurs d’un fait inquiétant : le cinéma se reposerait sur la littérature et peinerait à proposer des sujets singuliers et surprenants, des scénarios originaux de qualité.
 
Que peut-on adapter ? À peu près tout, à commencer par les romans, véritable mine d’or pour le cinéma. Il y va de tous les genres, des grands classiques (Le Grand Meaulnes, Madame Bovary, Bel-Ami) aux livres pour enfants (Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl ou Narnia de C. S. Lewis), en passant par les romans policiers (Mystic River de Dennis Lehane, Le Couperet de Donald Westlake, Ne le dis à personne d’Harlan Coben). Les nouvelles aussi sont très prisées, leur format court se prêtant mieux à une version filmée. Le cinéma adapte également des pièces de théâtre et des livres de non-fiction, avec une préférence marquée pour les biographies de personnages historiques ou contemporains. Il s’est aussi pris d’affection pour les contes. L’exemple le plus représentatif est celui des studios Disney, qui ont allégrement puisé les thèmes de leurs dessins animés dans les contes traditionnels pour enfants.
 
 
Si l’adaptation fait les beaux jours du cinéma, elle semble également profiter au marché de l’édition. Le cinéma n’adapte pas que des best-sellers, il adapte aussi des livres beaucoup moins lus. Alors que les éditeurs publient toujours plus de livres chaque année, ils en vendent paradoxalement de moins en moins. Parmi les livres qui tirent leur épingle du jeu, on retrouve ceux qui ont eu la chance d’être adaptés au cinéma.
 
De nombreux écrivains regardent aujourd’hui du côté du cinéma pour donner à leurs histoires une seconde vie, ou une seconde chance, et pour accroître leur lectorat. Les jeunes auteurs espèrent voir leurs livres portés à l’écran, ce qui parfois même influence leur façon d’écrire. D’autres encore vont jusqu’à se lancer dans la réalisation et à adapter leur propre livre. Car si un best-seller augure du succès de son adaptation, le cinéma, de son côté, fait vendre des livres. Pour l’occasion, le livre est réédité, en grand format ou en poche, avec une photo du film en couverture, argument de vente devenu récurrent. Pour exemple, Folio a ainsi vendu 200 000 exemplaires d’Un long dimanche de fiançailles, roman de Sébastien Japrisot, après la sortie en 2004 du film de Jean-Pierre Jeunet.
 
Le film fait (re)connaître un livre, un auteur, et relance les ventes. La popularité du cinéma viendrait donc au secours d’une littérature souffrant d’un manque certain de visibilité. Le cinéma serait un outil promotionnel, une vitrine, un coup de projecteur sur un livre et son auteur. Alors qu’on lit de moins en moins mais que l’on va de plus en plus au cinéma, le septième art vient peut-être « sauver » une partie de la littérature, encourager, paradoxalement, à la lecture. Il popularise et médiatise le livre. Une tendance à nuancer toutefois, car il est évident que de nombreux livres restent dans l’anonymat, dans l’ombre du film, éclipsés par le succès de leur adaptation. Nombreux sont les films adaptés assimilés par le grand public à des œuvres originales. Nombreuses sont les œuvres sources ignorées.
 
 
Avec le film, le livre peut quoi qu’il en soit continuer à vivre, à s’incarner, porté par un autre langage et une autre forme. Sans dénaturer le texte initial, et tout en s’en affranchissant, le film peut également devenir le commentaire critique d’une œuvre. Il vient surtout prouver que le livre n’est pas un objet désuet, qui n’intéresse plus personne. Le cinéma continue et continuera à s’en inspirer. Il a tant besoin d’histoires[1].



[1] Formule empruntée à Frédéric Sabouraud, L’adaptation. Le cinéma a tant besoin d’histoires, Cahiers du cinéma, « Les petits Cahiers », 2006. 

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