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Rendez-vous

Vue du trainUn message mystérieux. Un lourd secret. Un personnage qui traverse l’Europe avec désespoir et résignation, le nouveau roman de Nicu Iliescu, auteur prolixe de romans policiers, nous entraîne, cette fois, dans un road-trip émouvant en marge de la collection noire.

C
ela commence par un message sur un téléphone portable : « Rejoins-moi, 15h, 27 novembre, gare de Bucarest. » On suit ensuite un homme dont on n’apprend pas immédiatement le nom. On le voit relire ce message, ne sachant pas s’il doit partir ou non. Lui seul semble connaître la raison de ce rendez-vous. Rejoint-il une femme ? Un homme ? Pourquoi Bucarest ? Pourquoi ce jour-là ? Le lecteur est aussitôt assailli de questions qui restent sans réponse. Le narrateur nous fait alors simplement assister aux préparatifs du départ, aux doutes. Il nous laisse observer son héros et nous donne à voir, comme si le lecteur devenait spectateur d’une scène où un homme fatigué et hésitant prépare un voyage dont lui seul connaît le but.
Et puis le héros part et, petit à petit, au long du voyage, alors que s’enchaînent les trajets en trains, en autostop et les nuits dans des hôtels, Fred (c’est le nom du héros) nous ouvre la porte de sa vie.
Il part rejoindre une femme mais ce n’est pas une histoire d’amour. Du moins pas uniquement. Il part pour accomplir quelque chose de très précis à Bucarest, quelque chose qui n’est dévoilé qu’à la toute fin du récit et dont on pressent tout le drame et l’ampleur au fil des pages. C’est un secret qui lie Fred à cette femme, un secret plus fort que l’amour qui les a réunis un jour, un secret qui nécessite de traverser l’Europe pour un acte lourd de conséquences. Nous ne dévoilerons pas ici la nature de ce qui lie et motive cet homme et cette femme, car il serait dommage de trahir trop vite le suspens : arrivera-t-il à temps et que vont-ils faire là-bas ?
Il ne faudrait pas rompre le charme, l’envoûtement que ressent le lecteur dès les premières lignes de ce roman qui nous tient en haleine comme un très bon polar, sans toutefois en être vraiment un. D’une écriture sèche et précise, l’auteur parvient à donner une couleur attachante à ses personnages et teinte son récit d’une certaine mélancolie empreinte de colère.
« Derrière la vitre du train défilaient des forêts et des villages. Parfois, dans un champ désolé, un paysan au travail levait la tête pour voir passer le train. Fred fixait le bas-côté de la voie, là où les plantes, les poteaux et les objets, jetés des fenêtres par les passagers, se fondent en une seule tache floue et multicolore à cause de la vitesse. Il cherchait à distinguer chaque chose dans ce flou jusqu’à ce que ses yeux n’en puissent plus. Alors il se levait pour fumer une cigarette entre les deux wagons, là où le bruit assourdissant des roues sur les rails empêchait toute conversation avec les autres passagers. » Fred nous emmène dans son voyage. Nous découvrons avec lui les villes, les paysages qu’il traverse. Nous les voyons par ses yeux. Tout est souvent pluvieux, gris, triste, à l’image du personnage. Fred parle peu. Il préfère le silence. On entend le bruit des trains, la voix de ses voisins dans les chambres d’hôtel, les rires des passants dans les rues. Lui est là mais toujours contemplatif, en retrait, presqu’absent du monde. C’est un homme résigné mais pas désespéré, qui sent peu à peu, au fil des jours, monter en lui une colère enfouie durant des années et qu’un simple message fait affleurer à nouveau dans son cœur. Ce voyage est visiblement une épreuve, mais une épreuve qui lui redonne de la force, une épreuve qui lui rend son âme.
L’auteur, Nicu Iliescu, est connu pour ses polars sombres où il fait une peinture noire de la société actuelle. Son premier titre, Tu n’auras pas de seconde chance, paru en 2003, avait été accueilli très chaleureusement par la critique. Puis il nous a offert un titre par an, dont, entre autres, Au sein de la meute, prix Polar 2004, Sortie et Correspondances, prix SNCF du polar en 2006 et Bar de nuit, Grand prix des lectrices de ELLE en 2007. Né en Roumanie à l’époque du rideau de fer et venu très jeune à Paris avec ses parents, intellectuels exilés clandestinement en France, il s’attaque, avec ce récit qu’il n’a pas voulu voir publier dans la collection noire, à un pan peu glorieux de l’histoire roumaine. Il le dit lui-même, il n’a aucun souvenir de la Roumanie. Ses parents en parlaient peu, ils avaient coupé les ponts et avaient même fini par ne plus en parler la langue. La Roumanie était pour lui un pays étranger, il n’y était jamais retourné. L’an dernier, il a fait le voyage. Et c’est justement ce voyage, aux confins de son histoire familiale, qui lui a donné envie d’écrire ce récit. Là, comme ailleurs, la grande histoire rejoint la petite sans qu’on le veuille vraiment. Et malgré le temps qui passe, les blessures refont parfois brusquement surface, poussant un auteur à écrire un roman qu’il n’attendait pas et un personnage à traverser l’Europe à la rencontre de son histoire.
JS
Les Myosotis ne fleurissent pas l’hiver, de Nicu Iliescu, Gallimard, 210 pages, 17 €