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Romain, Julien, Gustave et les autres

Un apprenti écrivain, ses idées noires et son chat sont les personnages de Roman à venir, le livre événement de cette rentrée littéraire. Pourquoi l’auteur n’a pas volé son prix Goncourt ? Tentative de démonstration.

 

          Roman à venir, premier roman de Jean Martin, est un hymne à la littérature. La pensée y est brillante et l’humour corrosif. Les jurés du plus prestigieux prix de l’automne ne se sont pas trompés cette année en couronnant ce livre aux multiples facettes. Dès le titre, l’auteur guide son lecteur dans une mise en abyme sans fond, un abîme de significations. Roman à venir est le récit de l’élaboration d’un roman ; mais le roman à venir est-il celui que l’on tient entre les mains ou le suivant, celui que le personnage tente d’écrire ? Le questionnement ne s’arrête pas là, car si l’œil voit « à venir », l’oreille peut entendre « avenir ». Le texte est aussi une interrogation sur le futur du genre romanesque, sa destinée. Celle-ci est subtilement symbolisée par quelques figures tutélaires qui semblent veiller sur le personnage : Gustave Flaubert, Louis-Ferdinand Céline, Julien Gracq et Romain Gary en chefs de file. Le terme « avenir » peut également faire référence à la prophétie. En effet, les quatre auteurs susmentionnés ont tous un lien particulier avec l’Académie Goncourt et de nombreuses références à la célèbre récompense sont disséminées dans le roman. Toutes ces allusions n’ont certainement pas manqué d’amuser le jury. 

         Le titre semble apporter une réponse catégorique quant au genre du texte. Néanmoins, le lecteur est, une fois encore, invité à la réflexion. Si le récit est mené à la troisième personne, le protagoniste porte le patronyme – pseudonyme ? – du créateur. Ce nom, Jean Martin, semble si bien choisi. De l’aveu de l’auteur, il a vérifié, ce sont les nom et prénom les plus portés en France. Idéal donc, pour un personnage qui incarne un « monsieur tout-le-monde » qui a des velléités d’écriture. Idéal également, pour dérouler avec malice et ironie toute la panoplie des clichés qui entourent les écrivains, chat en tête. « Un chose est sûre, un grand écrivain ne mange pas, il se sustente » pense Jean qui se fait une très haute idée de la littérature !

          La construction du texte mêle habilement récit et monologues intérieurs – qui sont nombreux, le personnage étant seul avec Zélig, son chat. L’humour est omniprésent, dans la langue comme dans les situations. Pour écrire Jean délaisse le couple papier/stylo pour l’ordinateur, plus sûr car « muni d’un correcteur d’orthographe ». Il s’équipe, comme un soldat qui part à la guerre, matériellement et spirituellement. L’auteur en herbe évoque ses modèles, ceux qui l’inspirent comme ceux qui le paralysent, ce qui donne lieu à une réécriture très personnelle de l’histoire littéraire. Si les auteurs du Nouveau Roman ont souvent refusé de nommer leurs personnages, c’est parce que Flaubert – pour ne citer que lui – avait déjà inventé les meilleurs patronymes… CQFD !

          Si les multiples stéréotypes qui tissent le texte sont hilarants, Jean Martin n’oublie pas son message. Comment – et pourquoi – écrire quand tout a déjà été dit par d’illustres prédécesseurs ? Aucune réponse ne sera apportée ; à chaque lecteur de trouver la sienne. Malgré l’ampleur et la difficulté de la tâche à accomplir, le personnage de Roman à venir ne faiblit pas : « Assis tout droit dans son canapé, il sourit à la luminosité aveuglante que lui renvoie la page blanche du traitement de texte. Il sourit à la littérature ».

 

Jean Martin, Roman à venir, éd. Gallimard, collection « La Nuit d’une destinée », 198 p., 17,50 €.