Le scandale fait rage, la colère éclate sur la place du Châtelet à Paris. Le mécontentement des sans-papiers ? Un soutien aux peuples opprimés à travers le monde ? Non, des catholiques intégristes. Qu’est-ce qui a pu à ce point les toucher et outrager, selon eux, la foi de millions de catholiques ? La pièce de théâtre, intitulée Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castelluci. Elle serait le lieu d’une représentation impie, de blasphème, de parjure.
Catholique à mes heures perdues, il fallait, de mes yeux, voir ce qui devait ébranler ma foi.
Sur scène, tout est blanc, immaculé. Un canapé blanc, un tapis blanc, une parure de lit blanche, un vieil homme en peignoir blanc. Expression de la pureté matérielle bientôt bafouée par l’incontinent qui se vide tour à tour sur le canapé resplendissant, le sol éclatant, le lit flamboyant. Le contraste est rude et brutal, par cette candeur soudain tachée de ses flaques marron. Pourtant, le spectateur est moins frappé par la situation dégradante que vit cet être humain, qu’ébloui par l’aura qui se dégage de la tendresse, de la douceur avec lesquelles le fils répond à cet embarras.
On vit avec cet homme, la quarantaine, propre sur lui, prêt à débuter sa journée de travail, confronté à la difficulté de voir vieillir son père. Celui à qui il doit la vie s’enfonce doucement vers la mort, dans la souffrance et la dégénérescence que celle-ci implique. Le fils, patient, essuie, nettoie, rit, décharge, cajole. Il vit. Le père, honteux, en colère, apeuré, s’excuse. Il subit.
« Pardon, pardon, je suis désolé, pardon… Je suis désolé, c’est juste que… — Regarde, tu n’as pas à t’excuser, tu sais, je te l’ai déjà dit » entend-on en italien. La pièce n’est pas sous-titrée. La détresse est universelle. Tout autant que l’amour qu’un fils porte à son père et la reconnaissance d’un père pour son fils.
Tout cela s’accomplit sous le regard du Christ, peint au XVème siècle par Antonello de Messine. Cet amour, message originel porté par la Bible, est offert au plus près du visage du Christ. Il s’associe à cette peine. Dieu s’est fait homme, dans sa grandeur, mais aussi dans sa fragilité et sa déchéance. Il enveloppe la scène d’un regard bienveillant dans lequel peuvent se reposer à la fois protagonistes et spectateurs. Ce regard, bouleversant, doux et profond, est partagé à tous.
Alors certes, la représentation du visage du fils de Dieu est déchirée sous l’œil ému de l’assistance, pour faire place à la phrase : « You’re (not) my shepherd », référence incontestée au psaume 22, Le Seigneur est mon berger, un des plus fameux de la liturgie catholique. Cette phrase emblématique permet à chacun, selon ses propres convictions, d’ouvrir son champ d’interrogations et d’interprétations.
Loin de vouloir choquer les consciences dans leurs croyances, cette pièce courte mais intense, basée sur les valeurs même du catholicisme, invite à la réflexion. C’était la simple volonté de son créateur, Romeo Castelluci, qui a été bafouée par quelques détracteurs : « Ce que je fais est un appel à l’intelligence, à la sensibilité de chacun des spectateurs.  »
 
Marion Scheffels
 

 

 
Sul concetto di volto nel figlio di Dio (Sur le concept du visage du fils de Dieu), de Romeo Castellucci, du 20 au 30 octobre 2011 au Théâtre de la Ville, Paris.

 

 

 

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