Sur les terres de l'imaginaire

mer, 02/01/2012 - 22:08

 
 

Trolls et Légendes

Sur les terres de l'imaginaire

 

Après trois premières éditions couronnées de succès, Trolls et Légendes, festival réunissant tous les deux ans l’ensemble des domaines de la Fantasy, de la littérature au jeu en passant par la musique, la bande-dessinée, l’illustration et le cinéma, a attiré sur ses terres belges des milliers de naufragés du réel en quête d’évasion. Bercés depuis leur tendre enfance par des contes merveilleux ou simplement en quête d’aventures épiques et fantastiques, participants et visiteurs ont afflué en masse du 22 au 24 mars 2011… Robin Hobb, l’une des plus grandes Dames de la littérature de Fantasy, était l’invitée d’honneur de ce volet 2011 consacré aux dragons. Pour nous imprégner de la magie de cet événement de renommée internationale, le magazine Rêves de dragons vous invite à pénétrer jusqu’au cœur du hall de Lotto Mons Expo, à deux pas de Bruxelles, pour découvrir une somptueuse galerie d’art regroupant les artisans parmi les plus représentatifs de la féerie.
Après une chevauchée à brides abattues de Paris jusqu’à Mons, l’arrivée de votre dévoué serviteur est saluée par une troupe de ménestrels à grand renfort de lyres, flûtes et autres timbales. Une odeur de viande braisée flotte dans l’air. Elle provient d’un feu de camp autour duquel s’agitent des danseuses parées et tatouées à la mode elfique : longue chevelure couronnée de lierres, oreilles pointues, runes tartinées sur les bras… Mon frère d’armes sort son appareil photo de son fourreau et nous marchons vers le hall surmonté d’une bannière titrée : « Trolls & Légendes ». Le regard acéré de mon coéquipier ne manque pas de remarquer le sponsor qui figure sur l’emblème : la cuvée des Trolls. Curieux et assoiffés, nous nous hâtons vers le hall légendaire dont la surface avoisine les 8000m2. En chemin, nous croisons un chevalier et son écuyer qui aide son maître à ajuster les sangles de son armure ainsi qu’un maître fauconnier et un magicien qui recolle sa fausse barbe grise. À peine franchi l’entrée du bâtiment, nous sommes happés par la foule. Des milliers de visiteurs vêtus comme vous et moi côtoient elfes, sorciers, nains et trolls aux faciès verdâtres. Ils sont venus de toute l’Europe pour s’imprégner d’un univers qui les enchante. Parmi eux, se trouvent beaucoup de français car dans leur pays, il n’y a que des fêtes médiévales. Trolls et légendes est le seul festival consacré au médiéval fantastique et au jeu de rôles. Les sources de divertissement sont nombreuses et variées : animations pour petits et grands, simulations de combats à l’épée, concours de déguisements, tables de jeux, marché féérique, dédicaces d’auteurs de romans et de bandes-dessinées, exposition de tableaux…
En passant entre les travées chargées de livres des auteurs en dédicaces, nous surprenons Pierre Dubois, auteur et « elficologue », en pleine interview.
Par le JDR, la littérature, la BD, le cinéma… les jeunes ont envie de se mettre dans la peau de héros – chevaliers, magiciens, elfes, trolls et que sais-je encore ? – des êtres vivant dans un univers régis par la magie. Dans ce monde, bien plus séduisant que le nôtre, ils veulent s’imprégner de l’essentiel : l’esprit de la nature qui… 
Une annonce au micro nous empêche d’entendre la suite : une conférence avec Robin Hobb va se dérouler dans quelques minutes. Le rendez-vous est attendu. Auteur de plusieurs séries qui ont marqué les littératures de l’imaginaire – L’Assassin royal,  Les Aventuriers de la mer, Ki et Vandien, Le Soldat chamane et plus récemment : Les Cités des Anciens qui fait la part belle aux dragons – elle fédère une communauté impressionnante de lecteurs à travers le monde.  
Nous tentons de suivre les grandes foulées d’une charmante faune dressée sur des échasses, jusqu’à la salle de conférence. Nous franchissons l’entrée et rejoignons les rangs d’une centaine de fans assis face à la scène où se tiennent l’auteur ainsi qu’une animatrice et une traductrice. Après avoir répondu aux questions ciblées de l’animatrice du salon, Robin Hobb répond à celles de ses lecteurs. Touchés par certains aspects de son œuvre, ils l’interrogent sur ses sources d’inspiration. À la question « d’où vous est venue l’idée du vif dans L’Assassin royal ? » (magie proche de l’instinct qui permet au héros d’établir un lien psychique très fort avec les animaux), la réponse de l’auteur est simple et sincère : cela vient des liens noués avec mon chien. Les questions très subjectives des personnes qui nous entourent reflètent la réussite de son œuvre : en déclinant les portraits de personnages écorchés vifs, elle les rend très attachants et tous ceux qui partagent les aventures de ses héros n’ont aucun mal à s’identifier à eux.
La conférence s’achève sur un questionnement fédérateur : pourquoi les contes et les histoires sur les dragons sont-ils si populaires ? La réponse de Robin Hobb rejoint celles de nombreux écrivains tout en apportant la touche romantique et intimiste qui a fait son succès.
Dans différentes cultures, les dragons ont joué différents rôles. Ils peuvent être source de sagesse, symboles du pouvoir de la nature, des bêtes voraces dévorants les jeunes filles ou une force naturelle qui maltraite les humains. Ou une douzaine d’autres rôles. […] Je pense que nous sommes attirés par les créatures de pouvoir, qu’elles soient malveillantes ou bienveillantes. Depuis longtemps maintenant nous voyons des histoires de vampires, de loups-garous, d’anges, de démons, de dragons, de licornes et d’autres créatures puissantes et surnaturelles qui interagissent avec les humains. Souvent la romance devient un aspect de l’histoire. Il y a aussi la question de la loyauté à découvrir. La Fantasy nous offre un grand terrain de jeu pour explorer les relations entre des individus au pouvoir inégal. Le vampire qui choisit de ne pas prendre pour proie la jeune fille sans défense, ou le puissant dragon qui devient le serviteur d’un guerrier pour l’aider à gagner une bataille de plus grande envergure, par exemple. Je pense que les gens ont toujours été fascinés par de tels liens.
Les participants ressortent de la salle, enchantés. Certains s’éparpillent dans la galerie d’art, sise dans une somptueuse verrière de 500m2 pour admirer les œuvres d’artistes confirmés ou de nouveaux talents du merveilleux. L’espace réservée aux œuvres prouve que l'illustration de Fantasy, restée longtemps un genre mineur lié à quelques couvertures de livres et au jeu de rôle, a le vent en poupe depuis les années 2000, notamment grâce au succès de Harry Potter et des films du Seigneur des anneaux. Les festivals comme Trolls et Légendes, Les Imaginales d’Epinal ou Zone Franche à Bagneux contribuent à populariser ce phénomène.
Emporté par le flux, nous flânons entre les tableaux, les sculptures et les photographies qui ornent de grands panneaux d’une blancheur immaculée, baignés par la lumière du jour. Comme je n’ai pas carte blanche pour remplir toutes les pages de votre précieux magazine, je ne vous parlerai que de trois des onze artistes représentés. Commençons par Bruno Brocero. D’entrée de jeu, la source d’inspiration celtique et féerique du peintre nous saute aux yeux. Dans ses cartons, vit une faune hétéroclite de personnages : fées, elfes, princesses, chevaliers, Korrigans, nains, Trolls, dragons et autres créatures fantastiques. Sa vision poétique du monde des petits peuples apparaît sous sa plume comme bien plus harmonieux que le nôtre. La finesse de ses traits, la profondeur de ses coloris et la profusion de détails donnent à ses scènes une vie propre aussi riche et dynamique que celle des œuvres de Paul Kidby, illustrateur fétiche des romans de Terry Pratchett (la saga du Disque-monde).
Un peu plus loin, nous entrons dans l’univers de Jim Colorex, alias Emmanuel Fallet. Depuis de nombreuses années, il s’est spécialisé dans la fresque et les décors en trompe l’œil. Il partage avec Brocero la même passion pour la culture celtique et le culte de la nature. Mais ses réalisations ont une dimension plus héroïque et érotique qui tendent à rejoindre les œuvres de Franck Frazetta ou celles de Luis Royo sur le panthéon des grands illustrateurs d’heroïc-fantasy. Nous nous inclinons devant l’un de ses plus beaux tableaux : Le Chant des arbres de la collection Rêves elfiques, où il parvient par de subtils jeux de dégradés de couleurs entre le minéral, le végétal et la chair, à représenter des arbres qui se mêlent à des créatures légendaires et aux hommes. De par votre savoir ancestral d’amateur éclairé, vous devinez que cette technique est également employée par Séverine Pineaux. Sauf qu’elle ajoute du relief à certaines zones en mélangeant de la peinture acrylique à ses huiles afin que ses toiles apparaissent comme plus anciennes. Rappelez-vous, lecteurs assidus de Rêves de dragons, les portfolios de notre numéro du mois dernier sur Le Couple, où l’écorce de l’homme-arbre était craquelée et la peau de la femme jaunie par des sépias délavés…
D’autres toiles attirent notre attention. Il s’agit de celles de Gilles Fransescano, adepte des techniques de l’aérographe avec lesquelles il a travaillé près de vingt ans, avant de réaliser ses nouveaux projets sur tablette graphique. Il est l’auteur de 300 couvertures de livres, notamment chez J’ai lu et L’œil noir, dont celles de certains des livres de Robin Hobb. Il préside également le groupe Art & Fact (association d’illustrateurs professionnels de la science-fiction, du fantastique et de la fantasy). En admirant ses créations, nous ne pouvons nous empêcher de les comparer à celles de Sandrine Gestin, notamment dans le traitement des lumières. Cependant, la technique de Fransescano ne lui permet pas d’atteindre une palette de couleurs aussi riche et nuancée que celle que l’on surnomme l’ambassadrice de la féerie peut produire dans ses huiles.
Alors que je m’attarde à contempler la dernière œuvre de la galerie, mon compère me tire par la manche. Son regard est rivé sur une nymphe qui porte un plateau garni de bières des trolls. Emportés dans notre rêverie, nous avons laissé filer les heures. De l’autre côté de la verrière, nous entendons la musique du premier concert qui doit se jouer ce soir. Cela nous encourage à poursuivre notre périple en flattant d’autres de nos sens… Je reconnais le rythme endiablé et les instruments anciens de Faun, groupe allemand de style pagan-folk. La harpe celtique, la vielle, les cornemuses, la cithare et divers flûtes accompagnent leurs chants enchanteurs. D’autres groupes mystiques se produiront ce week-end devant un public de plus de deux mille personnes : Corvus Corax, Mediaeval Baebes, Naheulband, Monica Richards, L'Effet Défée, Dunkelschon, Keltia. Les deux nuits qui s’annoncent risquent d’être longues…
David Gibert

 

 

 

Connexion utilisateur