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Un symposium qui s'émiette diablement

Un symposium qui s'émiette diablement 

 

Gonzalo Caimora nous livre un nouvel opus aguicheur mais frustrant : Le Symposium des Fées laisse tout simplement perplexe et désenchanté.

 

Il en est des livres comme des êtres humains. C'est-à-dire qu'il y a d'abord l'apparence, l'immédiateté, ce que nous jugeons au premier abord : cela peut être un titre (un regard), un auteur (un visage), un éditeur (une personnalité qu'on devine), un marketing fou (une mini-jupe) etc. Imaginons-nous face à face pour la première fois avec une grande blonde aux yeux de biche traquée, moulée dans une petite robe noire, nous avouant que ses auteurs préférés sont Dante, Marx ou Tolstoï selon ses humeurs. Voilà à peu près l'effet que nous fait Le Symposium des Fées durant les cinquante premières pages. Le bouquin nous aspire ; on nous vend du rêve. Puis vient la révélation du fond. On revoit la belle blonde pour prendre un deuxième verre et là, patatras, l'idéal s'effondre. Elle lit un livre de Marc Levy à la table du café. On aperçoit les racines brunes de ses cheveux sous la coloration, une coquetterie dans l'œil et, là, oui, juste au-dessus du genou, c'est bien de la cellulite. On se sent trahi, humilié, trompé. On nous aurait donc menti ? Chez Gonzalo Caimora aussi, cette révélation du fond se révèle plutôt frustrante. La lecture de son symposium féerique devient vite désolante, voire horripilante. Je m'explique.

 

Gonzalo Caimora et son chat, « Tijuana », dans les années 80

Gonzalo Caimora et son chat, nommé Tijuana, dans les années 80

 

Maria est une jeune mère de 22 ans qui vit dans les suburbs de San Diego dans l'État de Californie. D'origine mexicaine, elle a réussi à passer la frontière deux ans auparavant, ficelée sous un camion qui « transportait des mangues et des papayes ». Elle s'en est sortie avec quelques égratignures, un viol et un gros traumatisme qui aurait pu être un bon sujet pour le livre. Arrivée aux États-Unis, elle se lie rapidement à une communauté formée de jeunes mères mexicaines célibataires qui tentent de survivre. Le jour, ces femmes de caractère subissent une solitude et une violence hors normes : prostitution, vol, alcoolisme, drogues, police etc. Le nuit, une fois leurs activités terminées, commence alors le fameux symposium : elles couchent les enfants et se réunissent dans la chambre de l'une ou de l'autre pour discuter, boire, rigoler, écouter la radio ou même pour « s'épiler »

 

Jusque-là, tout va bien, l'attirance première que l'on avait pour l'ouvrage subsiste. Le sujet fait écho aux thématiques chères à l'auteur : l'immigration clandestine est notamment évoquée dans La Valse des oubliés (Prix Renaudot 1994). Gonzalo Caimora est lui-même issu de cet exode illégal ; en 1982, il a passé deux jours à marcher dans une nature aride sans boire, afin d'atteindre l'eldorado étasunien tant convoité. Il a passé des années à se cacher afin d'éviter les brigades de l'immigration clandestine ; entre deux petits boulots, Gonzalo Caimora a pris des cours d'anglais et a énormément lu. C'est en 1990 que l'auteur à succès a enfin été naturalisé sur le territoire des États-Unis. Mais il n'a jamais oublié ces deux jours passés entre la vie et la mort et en a fait un livre sublime, La Valse des oubliés. Est-ce qu'un deuxième livre sur le même sujet était de trop ? Est-ce que la naturalisation de l'auteur a tué toute forme de rage créatrice? En attendant de lui poser la question, penchons-nous sur Le Symposium des Fées.

Roman sur l'immigration clandestine, mais avant tout sur la solitude d'une « femme captive bien qu'évadée », l'ouvrage laisse perplexe quant à sa façon d'exploiter ce dernier thème. On aurait voulu une Maria forte, capable de prendre des décisions par elle-même, capable de se libérer de cette communauté de mères « dévoreuses » qui la commandent et l'obligent à ramener un minimum d'argent « pour participer à la vie en collectivité ». Maria aurait pu prendre le large, se battre encore un peu plus, trébucher de nouveau afin de trouver sa liberté. À la place, elle se soumet, se courbe, et semble à l'aise dans son rôle de victime consentante. De là, très rapidement, le personnage perd tout son intérêt. La manière dont elle est réduite en esclavage par les autres mères n'est même pas exploitée par l'auteur. On assiste juste – pendant près de 400 pages tout de même – à un misérabilisme navrant sur le destin de la jeune femme.

Pourtant, à un moment, on commence à se rapprocher de Maria ; cette dernière prend de l'épaisseur lorsqu'elle reçoit du Mexique une médaille gravée par sa grand-mère : « Pour ma petite mangue ». L'idée de s'émanciper, peut-être même de retourner au pays, la traverse alors. Refaire sa vie là-bas, avec un homme encore inconnu mais qu'elle ne trouvera de toute façon jamais ici, si elle reste cloîtrée avec ses marâtres. Mais la doyenne de la communauté s'empare du bijou, sous prétexte que l'enfant de Maria « mange trois fois plus que les autres et [que] la nourriture ne pousse pas sur la moquette ». Alors Maria redevient Maria la docile et on retombe dans un désagréable apitoiement.

En passant d'une scène à l'autre sans transition (un bout de la vie de Maria au Mexique puis un événement de sa nouvelle existence aux États-Unis et ainsi de suite), Gonzalo Caimora pensait – et c'est tout à son honneur – créer un effet de tension, d'agitation et de trouble qui représenterait Maria. Seulement le résultat n'est pas là, Maria est plus plate qu'une héroïne de Danielle Steel et le style fragmenté (plutôt que fragmentaire) de Gonzalo Caimora n'aboutit à aucune unité ni à aucune signification, même après la lecture complète de l'ouvrage. Tout cela fait désordre, surtout quand on repense aux maîtres du genre (Cioran, Duras, Pessoa etc.).

Entre désir de bien faire et volonté de remporter à nouveau un prix prestigieux en nous sortant la même recette, mais sans le sel, Caimora rate l'exercice. Au final, la belle blonde ne s'est même pas présentée au rendez-vous.

Diane Routex


Gonzalo Caimora 

Le Symposium des Fées 

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Serge Chauvin 

Gallimard, 392 pages, 21,90 €