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Une langue morte au goût de surprise

Un retour vers le passé pour une ouverture sur de nouveaux horizons, ou comment éclairer sa vie à la lumière d’un texte de plus de cinq cent ans ?

A trop se tourner vers l’avenir, les lecteurs d’aujourd’hui ont tendance à dédaigner les chefs-d’œuvre du passé.     Heureusement, les jeunes éditions des Dema ont réalisé l’exploit d’offrir aux nouvelles générations un manuscrit inédit du fameux Marsile Marionus : un texte d’une rare modernité sobrement intitulé La Bonne éducation. Ce recueil d’une des figures majeures de l’humanisme florentin du XVème siècle a refait surface après être resté enfoui quelques centaines d’années sous la poussière des étagères d’une bibliothèque privée. Après la joie suscitée, dans le cercle restreint des latinistes, par cette miraculeuse trouvaille, le plus gros du travail restait à faire : la traduction, l’édition et la diffusion de l’ouvrage. Il semblerait alors qu’un deuxième miracle se soit opéré. Un jeune traducteur, Gaston Monot, s’est enthousiasmé pour ce projet et s’en est totalement imprégné pour offrir une traduction pleine de vie, de rire et de modernité. Cela fut un pari audacieux pour la maison des Dema que de s’emparer de cet écrit en lieu et place des éditions Bel Etre, que nous attendions tous sur un projet d’une telle envergure. Mais quelle réussite ! On s’imaginait déjà la version de la prestigieuse maison d’édition, d’un académisme pédant, certes respectueux de la grammaire en tout point, mais bafouant allégrement l’état d’esprit léger et espiègle du texte de Marionus. La plume inspirée de Gaston Monot est, bien au contraire, parvenue à y rester fidèle, et nous donne à lire une merveille.

Ce livre est un traité éducatif comme beaucoup d’autres rédigés à cette période. Citons Erasme et son De l’éducation des enfants, parmi les plus connus. L’originalité de Marsile Marionus, que l’on retrouve également dans ses autres parutions et notamment dans Les femmes et les enfants d’abord, réside dans son franc parler, exempt de toute futilité et d’ornement superflu. La bonne éducation expose sans tabou les différents sujets qui préoccupent a posteriori les jeunes générations.

« Chapitre Premier : Que faire de ma vie ? Chapitre Second : A quel prix ? » Que celui qui ne se soit jamais trouvé un jour face à cette question jette la première pierre. Pour ma part, je m’en abstiendrai. Le traité est ainsi découpé en vingt chapitres, dont chacun porte sur une question existentielle de la vie d’un jeune adulte : la vie, la mort, l’amour, la famille, l’amitié, le travail. Une pique vive mais pleine de sagesse clôt systématiquement chaque chapitre. Au sujet de l’amitié garçon-fille nous pouvons lire : « S’il parvient parfois que l’amitié s’ouvre à l’amour, il est bien rare que l’amour débouche sur une amitié. D’ailleurs l’amitié n’est que la réunion de deux êtres qui ne peuvent conclure, bien souvent à cause d’une difformité physique présente chez l’un ou l’autre des protagonistes. », ou encore à propos de la famille : « A la naissance elle est notre monde, à cinq ans on la chérit, à dix on la défend, à quinze on la moque et on en a honte, à vingt on s’y oppose et on la quitte, à vingt-cinq on s’en coltine une autre, à trente on devient indulgent, à quarante elle explose ». N’est-ce pas là un schéma classique et récurrent depuis tant d’années ?

Le nec plus ultra réside dans les illustrations qui embellissent considérablement cette édition et lui apporte une pétillante touche de vie. Elles ont été réalisées par une toute jeune illustratrice, Joséphine Desbois qui s’est à son tour enivrée de cette œuvre. Par son trait simple, moderne et léger, elle a su traduire visuellement les pointes humoristiques et arrive à capter l’attention de ceux qui étaient encore réticents à l’idée d’ouvrir un ouvrage d’un autre temps. Quelques devinettes viennent ponctuellement ajouter à cette atmosphère joviale, un peu de récréation : « Je plonge mon regard dans le tien lorsque tu l’offres à moi. Tes yeux me voient alors que les miens restent aveugles. Pourquoi ? Je n’en ai pas. Si tu le souhaites, je parle, en silence : le son vient de ta voix. Qui suis-je ? » Je vous laisse méditer. La réponse est dévoilée dans le volume. In libro veritas.

Marion Scheffels

La Bonne Education, Marsile Marionus

Texte établi et traduit par Gaston Monot, illustré par Joséphine Desbois

Éditions des Dema

23 novembre 2011, 216p, 25 €