Voyage initiatique en Alaska

dim, 01/30/2011 - 18:41

« Into the Wild » est l’adaptation sur écran de la biographie éponyme écrite par Jon Krakauer. Tourné par Sean Penn, le film relate l’histoire du jeune Christopher McCandless, surnommé Alexander Supertramp. A l’âge de 22 ans, cet Américain tout juste diplômé et à qui tout sourit, décide de quitter sa famille et sa petite amie pour découvrir le vrai sens de la vie. La nouvelle que son père a eu une autre vie avant d’épouser sa mère l’a bouleversé et l’a poussé à tout abandonner. Il déchire ses papiers d’identité et donne ses économies à des œuvres de charité. Nourri des écrits philosophiques de Henry David Thoreau, d'Emerson et de Jack London, il prend la route en quête de cet absolu et de cette vérité que le monde conventionnel et hypocrite ne peut lui offrir.

 

Sean Penn, qui écrit, réalise et produit ce film, passe derrière la caméra pour la cinquième fois et livre, sous la forme d’un road-movie, la biographie de ce jeune homme qui décide de vivre un rêve jusqu’au bout. On reconnait ici la  prédilection de cet acteur pour les sujets forts et poignants. Rappelons qu’il a incarné un attardé mental dans « Sam, je suis Sam », et un homme politique homosexuel dans « Harvey Milk ». Le spectateur s’attache peu à peu au personnage intelligent et sensible incarné par le jeune Emile Hirsch, dont la valeur n’attend pas le nombre des années. En effet, sa performance du milieu à la fin du film rappelle celle d’Adrian Brody dans « Le Pianiste » de Roman Polanski. Lorsqu’il commence à vivre en ermite dans un vieux bus qui a servi de squat à un autre avant lui, il évolue physiquement et psychologiquement. Il n’a plus l’insouciance presqu’adolescente du début de son voyage. Ce sont les traits et les raisonnements d’un homme qui apparaissent. Bien sûr, il ne perd rien de son enthousiasme initial, mais il rentre dans l’apprentissage concret et parfois cruel de la vie. En témoigne cette scène marquante du film, où l’aventurier abat un animal pour le manger. Il sait en théorie comment débiter la viande, mais il fait chaud et les parasites s’invitent. La viande est perdue, et l’animal mort pour rien. Pour Christopher cet épisode est un échec cuisant, qu’il se jure de ne pas reproduire.

 

Pendant près de deux heures et demie, deux questions obsédantes cherchent une réponse dans chaque scène, chaque mot : « Pourquoi quitter une vie confortable au nom de ses idéaux ? » ; et surtout « Que va-t-il se passer ? ». On attend quasi-impatiemment le moment où le jeune homme se lassera de cette vie de dénuement et rentrera chez lui retrouver ses proches. Mais Sean Penn fait durer le suspens et ne dévoile rien de la fin de l’intrigue. Il s’attarde sur les paysages immenses, sur les routes et laisse une grande place à la nature. On  voit Christopher pénétrer dans la forêt où il trouvera le bus, la rivière dans laquelle il se baigne. Et l’on ressent sa solitude, aspect frappant sur lequel insiste le réalisateur. À la fin de la séance, certains spectateurs auront peut-être résolu ces énigmes. Trouvé le sens de cette quête. D’autres en garderont un goût amer, une incompréhension qui tourmente l’esprit. Mais Christopher McCandless, lui,  aura tiré une morale de son expérience -car il s’agissait bien de prouver, ne serait-ce qu’à lui-même, que la vie telle que généralement conçue, n’est pas satisfaisante. Qu’un inconnu reste à être exploré. Il se rend compte finalement que la vie est déjà à elle seule une (grande) aventure qui vaut la peine d’être vécue et qu’on ne peut pas la vivre seul.

Une recherche de l’absolu qui n’est pas sans rappeler celle du docteur Frankenstein de Mary Shelley : l’être humain qui souhaite sans cesse se dépasser et dépasser ce qu’il ne peut pas comprendre, parfois au péril de sa vie. Aller toujours plus loin : jusqu’au Pôle Nord pour le capitaine que rencontre Frankenstein, en Alaska pour Alexandre Supertramp. L’absolu et l’infini que la caméra suggère, par un éloignement progressif du sol jusqu’à l’immensité du ciel.

Luce Anissa.

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