Delta Force II ou le discours sur la morale
Delta Force 2 c’est plus fort que toi !
Fichtre, je voulais à tout prix éviter de tomber dans le cliché en étant obligé de parler d’un des films de Chuck Norris, mais la déontologie me rattrape et je n’ai pas le droit d’oublier ce fer de lance, ce promoteur, ce défenseur du nanar à base de grosses doses de testostérone. En effet, comment parler de ces « mauvais films sympathiques », pour reprendre l’expression de Nanarland, sans évoquer celui qui a créé, bien involontairement, un véritable mythe autour de sa personne ? Beaucoup d’entre vous connaissent sans aucun doute les « faits Chuck Norris ». Pour ceux qui les ignorent je vais m’empresser d'en énoncer quelques-uns, qui tels les dix commandements posent les bases d’un culte autour de l’acteur américain : « Dieu a dit : que la lumière soit ! Et Chuck Norris répondit : On dit s'il vous plaît .» ; ou encore « Chuck Norris ne se mouille pas, c'est l'eau qui se Chuck Norris » et enfin la plus connue « Chuck Norris a déjà compté jusqu’à l’infini, deux fois ! ». Alors pourquoi une telle adoration ironique ?
Dans les années 80, l’ « Amérique est de retour » avec Ronald Reagan, et cet ancien acteur connaît toute l’importance du cinéma et des messages qu’il peut véhiculer. Il va donc commander des films censés glorifier la puissance de frappe des USA, quitte à tomber souvent dans le caricatural. En résultent des films comme Rambo, Rocky et Delta Force ! Si les deux premiers connurent une sympathie justifiée pour leur premier opus, on ne peut pas en dire autant du dernier. Je n’ai vu que les deux premiers Delta Force, et n’ayant pas pu mettre la main sur le numéro un, qui m’avait laissé un superbe souvenir, je me suis rabattu sur le deuxième volet. Cette saga est donc un pur produit de la politique cinématographique reaganienne, et cela se voit à l’écran où nos héros castagnent à tout va les ennemis de l’Amérique, sans se soucier d’une quelconque légitimité.
Ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que Chuck Norris est un formidable pratiquant d’arts martiaux. Il a obtenu de nombreux titres de champion du monde dans sa discipline, avant de faire quelques apparitions au cinéma, notamment dans un duel épique avec Bruce Lee dans la Fureur du Dragon. Je ne suis pas friand de ce genre de films, mais il faut reconnaître que leur combat est impressionnant ! C’est assez naturellement donc qu’il a été amené à jouer les premiers rôles dans diverses productions américaines d’action, comme Delta Force. Mais là où le bât blesse, c’est au niveau de son jeu d’acteur totalement ridicule : un monstre de sobriété qui nous assène dans chacun de ses films des répliques telles que : «- Et qu’esse qué tou va fère mainnetenant connarre ? - Si tu continues comme ça, tu vas repartir avec les couilles dans un Tupperware ! » (J’essaie volontairement de reproduire l’accent ridicule du doubleur) ou encore «- Braddock ! Attention où vous mettez les pieds ! – Je mets les pieds où je veux Little John ! Et c’est souvent dans la gueule ! ».
Je vais donc m’appesantir un peu plus sur Delta Force 2 que je viens de regarder, et essayer de vous montrer en quoi ce long métrage et la filmographie de Chuck Norris, relèvent de l’histoire même du nanar. Le scénario est assez basique ; la DEA américaine (les stupéfiants) essaie depuis des années de mettre la main sur Ramon Cota, un gros trafiquant de cocaïne sud-américain qui réside dans le pays imaginaire du San Carlos ; peut-être les producteurs ont-ils estimé que l’on pouvait renommer la Colombie… Les multiples opérations, d’ingérence totale au passage, ne sont que des échecs retentissants, il faut donc faire appel à des pros : les soldats de la Force Delta. Des militaires surentraînés, sorte de GIGN américain, spécialistes des missions d’extraction en terrain ennemi. Inutile de vous dire qu’ils ont plus l’air de gentils garçons jouant à la guéguerre que de véritables machines à tuer.
Mais il y a Scot Mc Coy (Chuck Norris) et son meilleur ami qui sert d’alibi ethnique, Bobby Chavez. Vous voyez les meilleurs ? Eh bien ils sont plus forts qu’eux ! Pour preuve lors de la scène d’introduction ; nos deux compagnons dînent ensemble, accompagnés par la femme de Bobby. Des skinheads agressent le propriétaire du restaurant sous leurs yeux : « Oh non Scot, tu ne vas pas encore te battre ? – Bien sur que non, je vais juste aller discuter un peu avec eux ». Et, en moins de temps qu’il n’en faut pour balancer trois coups de poing et deux balayettes, notre bon Chuck revient fier de lui à leur table : « Mais non je ne me suis pas battu, je leur ai juste fait un discours sur la morale ». Rire franc à table… Ils sont définitivement les meilleurs, et de sacrés farceurs !
La DEA fait donc naturellement appel à eux et lors de leur première tentative d’enlèvement de Ramon Cota, ils arrivent à le récupérer dans un avion alors que celui-ci survole un bref instant le territoire américain, et l’obligent à sauter en parachute avec eux. Ces soi-disant pros ont la tâche grandement facilitée par la faiblesse de l’escorte de ce cher trafiquant et la déficience des portiques anti-armes de l’aéroport d’où ils ont décollé. Et lorsque le général Taylor, leur supérieur, déclame avec aplomb : « Ces gars sont vraiment les meilleurs ! », on ne peut s’empêcher d’hurler à la fumisterie : un enfant de douze ans aurait réussi ! Mais malheureusement pour nos héros, le trafiquant est relâché par le tribunal contre une caution de dix millions de dollars - des cacahuètes pour Ramon. Notre bon Bobby craque, et frappe l’homme pour qui la capture lui a donné tant de mal (laissez-moi rire). Pas rancunier pour un sou, Cota s’en va tuer sa femme et son frère, afin d’être quitte. Jusqu'ici, pas grand-chose d’anormal. Et c’est là que l’ « actor's studio » Chuck Norris se révèle aux yeux ébahis du monde entier : il reste stoïque, avec une douleur qu’il semble enfouir, vraiment très bien, au plus profond de lui. Un grand moment de réconfort pour son ami, qui le supporte tellement bien d’ailleurs qu’il décide d’aller régler son compte lui-même, au San Carlos, à l’exportateur de cocaïne.
Il se fait prendre, tuer (oui les « side kicks » de Chuck Norris meurent toujours dans ses films, c’est une des règles de base) et l’on envoie le colonel Mc Coy ainsi que la Delta Force afin de récupérer les hommes de la DEA capturés par Cota lors de l’expédition du défunt Chavez. Par la même occasion, le général Taylor en profite pour faire d’une pierre deux coups et planifier la destruction de toutes les exploitations de coca. Scot est envoyé en éclaireur et reçoit l’aide sur place de son contact : une jeune femme au doux nom de Quiquinna (ne riez pas encore, le meilleur est à venir) qui a été persécutée par Cota et ses sbires. En effet, lorsque Chuck demande au général si elle est sûre, celui-ci lui rétorque : « Ramon a d’abord tué son mari, ensuite il l’a violée, puis il a tué son bébé et y a mis de la cocaïne pour la faire passer ! » Plus méchant tu meurs… Cette réplique me permet de parler quelque peu de Taylor, véritable cabotin en chef des forces armées, qui n’hésite jamais à en rajouter des caisses afin de nous faire rire, involontairement bien évidemment.
Le plus intéressant est l’assaut lui-même, où la Delta Force nous montre tout son potentiel d’infiltration, en se baladant à découvert la plupart du temps ou en se postant, par exemple, avec une discrétion incroyable, sur le toit d’une église sans être jamais repérée par les sbires du trafiquants. Soit ils sont vraiment très forts et leur tenue noire est d’une extrême efficacité en plein jour, soit leurs ennemis sont complètement aveugles… À leur crédit, on est obligé de reconnaître que les sbires ont un goût certain pour le raffinement, avec leurs vêtements trop grands et leurs coupes de cheveux à la pointe de la mode des années 80 arborant une superbe nuque longue… Il est bien évident que la mission est un véritable succès, et qu’en plus de ne perdre aucun homme, ils récupèrent tous les otages et Ramon Cota en prime - que McCoy s’est fait un plaisir de « tatanner » (frapper à grands coups de pied) ! Alors qu’ils, c’est-à-dire Chuck et son pire ennemi, sont hélitreuillés pour rejoindre la base américaine, le trafiquant en profite pour insulter notre héros avec une verve certaine. C’est ce moment que choisit la corde qui le soutient pour céder, l’entraînant dans une chute vertigineuse vers la mort. Chuck Norris ayant toujours le sens de la réplique qui tue, nous lâche en guise de conclusion à son aventure : « Tiens, prend ça dans ton cul ! » Qu’est-ce que je vous disais ? Toujours aussi classe !