Mad Men : Chroniques d'un monde qui change.


Sarah.Bos - Posted on 09 mars 2013

 
 
 
 
 
 
 
  
Au début des années 60, à New York, l’agence publicitaire Sterling Cooper est célèbre pour sa créativité et ses talentueux employés, parmi lesquels le mystérieux Don Draper, directeur créatif de Sterling Cooper, qui exerce une certaine fascination aussi bien sur les secrétaires que sur les autres hommes de l’agence. Cependant, les années 60 sont celles de tous les bouleversements sociaux et culturels. Les luttes pour l’émancipation des femmes, et pour la fin de la ségrégation arrivent à grand pas et risquent bien de modifier le tranquille quotidien des hommes et surtout celui des femmes de l’agence.      
 

Souvent citée comme une série de référence, qui a d'ailleurs remis les années 60 au goût du jour, Mad Men n’a pourtant pas eu l'audience qu'elle méritait. Lorsque j’en parle autour de moi, l’on me dit souvent que cette série est trop lente, et qu’ils ont cessé de la regarder bien avant la fin de la première saison. Ils sont certainement passés à côté de quelque chose. Car en effet, Mad Men est plus qu’une simple série, c’est une peinture impressionniste qui avance par touches légères, c’est un film qui se poursuit sur une pellicule qui ne se finit pas. Mad Men est une série comme on en fait peu, et c’est bien dommage.

Loin des séries habituelles aux personnages sans profondeur et finalement bien peu vraisemblables, Mad Men, est une série réaliste et complexe, qui opère tout d’abord une subtile mise en contexte. En effet, dans les années 60, tous n’étaient pas des militants pour la cause des Afro-américains, pour celle des femmes, et n’étaient pas forcément révoltés par la guerre du Viet Nam. Tous ces événements nous sont évoqués au détour d’une conversation entre deux publicitaires, par la télévision restée malencontreusement allumée, ou plus implicitement à travers le comportement même des personnages : quand certaines secrétaires restent à leur place, et succombent de temps en temps aux avances de leur employeurs, d’autres voient plus loin, réclament plus d’argent, plus de reconnaissance, et se font finalement une place dans un monde du travail encore largement masculin. Nous voyons alors comment les événements des sixties affectent les différents personnages dans leur quotidien, ce qu’ils en pensent, et nous pouvons voir d’ailleurs que les personnages masculins se sentent parfois assez peu concernés. Ils vivent leur vie, et sont déjà assez occupés par leurs propres soucis.     

Si cette série est réaliste, c’est aussi, et surtout dû à ses nombreux personnages qui ont chacun un passé, des espoirs, des intérêts qui leur sont propres et qui se heurtent souvent à ceux des autres. Ces personnages sont parfois contradictoires, et évoluent lentement tout au long des saisons, ce qui leur confère une certaine densité, une certaine épaisseur que l’on retrouve assez peu ailleurs. Ces personnages sont complexes car ils s'ancrent dans une société dans laquelle ils ont des difficultés à trouver leur place. Ils semblent en effet être tous plus ou moins en lutte perpétuelle entre ce qu’ils sont et ce qu’ils devraient être au sein d'un monde très codifié. Le personnage de Salvatore, le dessinateur, en est un exemple : il tente tant bien que mal de camoufler son homosexualité en épousant une jeune femme. Le côté schizophrénique des personnages est poussé à l’extrême avec celui de Don Draper qui doit composer avec une double identité : celui qu’il est et celui dont il a usurpé le nom. Cette tension entre ses deux vies différentes se retrouve ainsi dans son incapacité à coller avec l’image de l’époux et du père parfait, incapacité et frustration qu’il exprime dans son besoin compulsif de toujours entamer une nouvelle liaison. Le personnage de Peggy Olsen est lui aussi assez intéressant : en jeune femme de son époque, elle aurait dû, comme toutes les autres secrétaires de l’agence, privilégier sa vie amoureuse, faire un beau mariage et avoir des enfants.  Au contraire, si son ascension au sein de l’agence est assez fulgurante, celle-ci s’est faite au détriment de sa vie personnelle qui restera longtemps assez chaotique. Victime d’un déni de grossesse au cours de la première saison, elle refusera d’assumer son rôle de mère et certainement son statut de femme. Peggy Olsen veut être à l’égale des hommes, et c’est donc dans une lente et difficile lutte qu’elle s’est engagée aussi bien contre les autres hommes de l’agence que contre sa famille. Tous ces personnages sont des publicitaires, ce sont eux qui créent de toute pièce ces images d’une société parfaite; images auxquelles ils tentent pourtant de coller, comme s’ils y croyaient réellement, et n’y parviennent pas. C’est en cela peut-être que réside tout le tragique de la série. Ces hommes et ces femmes aux identités doubles semblent finalement être le symbole d’une société qui change, d’une société entre deux eaux, qui sort de la rassurante torpeur des années 50 pour entrer dans une ère nouvelle. Une société qui ne peut ou ne veut plus coller avec l’image lisse qu’elle avait autrefois.

            Cette série est donc aussi  l’occasion de faire une plongée dans les dessous de la société de consommation des années 60, et le constat est assez cinglant. Nous découvrons alors, parfois avec indignation et avec une certaine délectation comment les publicitaires s’emploient à créer de nouveaux besoins chez les consommateurs. Nous assistons à l’élaboration des pubs telles que celles de Heinz, ou Coca-Cola, des produits que nous connaissons aujourd’hui encore très bien, ce qui nous rappelle par un effet miroir le côté artificiel de la publicité quelle que soit son époque. Conscient de vendre du rêve à argent comptant, Don Draper dira lui-même avec un profond cynisme, au début de la première saison : «Ce que vous appelez l’amour, a été inventé par des types comme moi pour faire vendre du nylon.».

Bien que parfois assez sombre et complexe, la série se montre aussi drôle et légère. Dans un monde du travail où l’ambition pousse les personnages les uns contre les autres, la sincère amitié et la complicité entre Don Draper et son vieil ami Roger Sterling fait souvent l’objet d’un intermède assez réjouissant. Le personnage de Sterling porte en effet pratiquement à lui seul sur ses épaules l’aspect comique et satirique de la série : ses répliques sont mordantes et restent mémorables, tout comme sa réponse à Don Draper lorsque celui-ci évoque l’incompétence des nouveaux employés, au cours de la saison 5: « Je leur ai dit d’être fidèles à eux-mêmes…C’était assez méchant, je crois ! ».

 

En feignant d’évoquer une époque et des enjeux bien loin de nous,  Mad Men semble finalement être le miroir déformé de notre société. Aujourd’hui encore, les questions sociales soulevées dans la série sont loin d’être résolues. La femme continue à lutter dans une société qui n’a pas encore accepté son changement de statut : la parité en politique est encore loin d’être respectée, et la représentation des femmes dans le petit écran est encore largement subordonnée à leur plastique. Finalement, si Mad Men semble esquisser la chronique d’un monde en pleine mutation, c’est seulement pour nous inviter à poursuivre ce qui a été engagé.


Sarah Bos, L1 Humanités.