"There will be blood", de Paul Anderson (2008)


cyprien.clement - Posted on 04 décembre 2009

      La sobriété du titre l’annonce comme une prophétie : on ne sait jamais d’où elle sort, mais on a toujours le désagréable sentiment que ce qui est dit sera. Intéressant comme titre, dans le sens où il apporte un plus indéniable à l’histoire. On le sent davantage qu’on ne le sait, et ce dès la première image : le dénouement, quel qu’il soit, ne peut être paisible. C’est une tension créée au commencement même de l’œuvre, comme dans un Tu ne tueras point de Kieslowski, ou dès l’interdit prononcé, c’est la transgression qui est appelée. Ici, le procédé est le même : il va se passer quelque chose, mais quoi exactement ?
      Que nous propose alors Paul Anderson ? Un film historique, visant avec objectivité à montrer au spectateur une époque importante de l’histoire des Etats-Unis, et souvent occultée par une pléthore de westerns ? Oui, car nous voici dans ces années de transition entre le dix-neuvième et le vingtième siècle à suivre Daniel Plainview, un prospecteur de pétrole, et Eli, un jeune pasteur exalté et prodigue en « bonne parole ». Peut-être, plutôt, que l’histoire pendant laquelle se déroule le film, n’est qu’un cadre pour se pencher sur ces deux personnages. Qui se ressemble s’assemble. Les deux hommes sont d’apparence différente, mais leur personnalité semble bâtie de la même facture. Nos deux protagonistes sont emplis d’une colère sourde, tapie au fond d’eux, et que le film laisse entrevoir par quelques scènes. Une amertume et un mépris communs pour leurs semblables, peut-être, les rend d’autant plus impressionnants dans les relations à leurs proches. Eli tyrannise sa famille et foudroie de mépris son vieux père, Daniel ne s’attache à un jeune qui devient son protégé que pour mieux l’exploiter dans son entreprise, puis l’abandonner lorsque l’enfant ne lui est plus d’aucune utilité. Bref, des relations violentes pour des hommes qu’on voit prendre clairement leur place dans toute une société d’époque.
      Les intérêts ne manquent pas, et le travail monstrueux effectué par toute l’équipe du projet les amplifie. Mais ce qui se dégage d’une manière plus haute encore, c’est une tension extrême qui englobe le film, qui en émane surtout, du tout premier plan jusqu’à l’incendie du derrick, laissant encore une bonne heure de film après l’épisode. Cette partie est un ensemble, un tout. Les plans, les décors, le rythme lent, presque lancinant, appuyé par la musique, les acteurs au milieu, l’ensemble n’étant qu’un resserrement intense de l’action, un condensé percutant, un de ces moments où tout semble figé. Chaque instant laisse présager qu’il va se passer quelque chose de grave, quelque chose de fort, qu’il va y avoir du sang.
      Et c’est ça qui peut décevoir. Subitement, cette partie s’achève pour laisser place à une simple suite de l’histoire. Les personnages redeviennent tels quels et ne forment plus un tout parfait avec le film. Les acteurs retrouvent leur fonction d’acteurs et le spectateur revient à lui, le charme de cette première partie qui le pétrifiait est comme rompu, et le voilà soudain observateur passif du destin pathético-tragique d’un faux prophète et d’un prospecteur aigri. Ils acquièrent alors leurs nouveaux traits de caractère, qui apportent un intérêt moindre, et paraissent faire figure de remplissage en comparaison de qu’ils étaient avant. Une fin surprenante donc, par son manque de panache.

Cyprien Clément L1-Humanités