Une autre Lolita
Lolita…A peine ai-je lu les derniers mots du roman de Vladimir Nabokov que je projette à l’écran la première adaptation cinématographique qu’en a réalisée Stanley Kubrick en 1961. Le film m’enchante.
Cependant, quelques mois plus tard, quelle n’est pas ma surprise de découvrir à la télévision une autre Lolita, postérieure à celle de Kubrick ! Une adaptation réalisée, celle-là, par Adrian Lyne en 1997.
Cette seconde version m’a profondément marquée.
Le film, cette fois-ci, est en couleurs, et cela accentue l’aspect réaliste de l’environnement dans lequel évoluent les personnages, aussi bien que les personnages eux-mêmes. La palette, composée de tons pâles et vifs, insuffle davantage de crédibilité à la relation qui se noue entre Lolita et M. Humbert.
L’actrice Dominique Swain, qui interprète Dolorès Haze, incarne parfaitement le personnage. Cela tient, en partie, à ce que son âge coïncide avec celui de Lolita. Un élément qui peut sembler de peu d’importance, mais lui permet, en fait, d’épouser naturellement les traits de caractère et la personnalité complexe de l’héroïne, et d’exprimer toutes les nuances de l’enfance et de l’adolescence qui lui sont propres.
Jeremy Irons donne vie à un Humbert particulièrement émouvant. Toute sa personne est empreinte d’une cicatrice secrète qui ne se refermera jamais, et une nostalgie permanente se lit dans chacune de ses expressions. Il est à la fois un adulte responsable, autoritaire, et un homme vulnérable jusqu’à la soumission, épris à en perdre la raison.
Ces deux principaux personnages, à vrai dire, sont d’une très grande beauté. D’une beauté qui trahit continûment les sentiments qui les habitent, mais en même temps, semble aussi toujours leur conserver une apparence lisse et sans tache, et les préserver. Tous deux, de fait, font face au même dilemme jusqu’à la fin : afficher une parfaite innocence et pureté, ou affirmer une relation passionnelle jusqu’à l’extrême.
Charlotte Haze et Clare Quilty, les autres protagonistes de l’histoire, sont, quant à eux, dotés d’un caractère bien défini.
L’actrice Mélanie Griffith interprète très justement la mère de Lolita, vulgaire et immature au point que c’en est presque touchant.
Frank Langella, lui, endosse le rôle de l’écrivain diabolique, énigmatique, à la fois invisible et omnipotent ; chacune de ses apparitions est un subtil mélange de chimère et d’élégance perverse.
La bande-son du film, composée et dirigée par le génial Ennio Morricone, ajoute à l’histoire une dimension intense et tragique jusqu’à son fatal dénouement.
L’adaptation d’Adrian Lyne nous conduit à nous identifier avec chaque personnage. Nous sommes alors happés et bouleversés par l’intrigue qui tisse sournoisement ses fils invisibles autour des protagonistes et les emprisonnent. Car si Lolita et Humbert, en voyageant de motel en motel croient pouvoir se libérer, ce n’est qu’un leurre. Leur fuite renforce leur angoissante immobilité.
Les émotions du téléspectateur varient incessamment entre la tendresse indulgente, la pitié et l’impuissance, devant cette relation, qui paraît improbable, immorale — mais l’est-elle vraiment ? — fusionnelle, toxique, mais aussi amoureuse en même temps que filiale.
Un père aime sa fille « adoptive », mais plus encore le fantasme absolu qu’elle personnifie. A ses côtés une pré-adolescente, plus tout à fait une enfant, pas encore une femme, se cherche une identité stable. En vain.
Hanna Rosenblum – L1 Humanités