Le brutalisme, une froide humanité

L’architecture brutaliste

Souvent décriée, l’architecture brutaliste fait pourtant partie intégrante de notre patrimoine  architectural.

Des angles, des droites, parallèles, perpendiculaires, fuyant vers le ciel, du verre, de l’acier,

Tout ça n’est pourtant que beauté.

Le béton fait corps avec la vie,

Il est singulièrement de nos quotidiens pétris.

Cet article est partial, biaisé par les émotions, teinté de passion.

Mais avant cela…

 


UNE PETITE EXCUSION HISTORIQUE 

… pour comprendre le Brutalisme.

Avant tout, il faut définir ce qu’est l’architecture brutaliste. Elle est une agrégation de styles et de courants. Elle naît en 1950 des mots de l’architecte suédois Hans Asplund qui décrit sa Villa Göth comme appartenant au style du New Brutalism.

C’est au Royaume-Uni que le mouvement prend de l’ampleur, après qu’un groupe d’architectes britanniques voit cette réalisation. Le terme Brutalisme est rapproché, en 1952, du mouvement Béton brut. Un mouvement, prônant la beauté du béton, porté par Auguste Perret, reconstructeur du Havre et Le Corbusier, père de la Cité Radieuse de Marseille. C’est l’œuvre de ce dernier qui va réellement inscrire le brutalisme dans le paysage architectural.

Mais ce qui m’intéresse le plus dans le« brutalisme » c’est qu’il est aussi et surtout un mouvent a posteriori, un mouvement qui regroupe des œuvres du mouvement moderne, du constructivisme soviétique pétri d’utilitarisme, et offre une appartenance floue à nombre de réalisations architecturales. Ses définitions sont assez poreuses, et c’est cette part d’interprétation qui la rend humaine.

À Paris, les grands travaux des années 1960 et 1970 nous ont offert pléthores de ces œuvres : les Olympiades dans le XIIIe, la cité des 4000 à la Courneuve, l’université de Nanterre, l’ancien siège de l’INSEE à Malakoff ou encore le siège du Parti communiste dans le XIXe.

 


LE BRUTALISME, UNE FROIDE HUMANITÉ

Le brutalisme.

Brutal.

Brut.

Un terme connoté, ce qui est brut, ce qui est brutal, est à l'état le plus primitif, sans finesse, violent. Pourtant, le béton est né d’une main humaine, loin d’une création primitive, le béton fut une découverte majeure dans l’architecture et l’urbanisme.

La « brutalité » tient à son esthétique et non à son ingénierie.

Tout n’est que géométrie, angles étudiés, droites se fuyant, se suivant et se retrouvant.

Tout n’est que béton, verre et acier.

Le béton est roi, est maître, est vérité.

Une esthétique pour le moins clivante malgré le regain d’intérêt pour le mouvement et sa légitimation croissante.

Voici une liste non-exhaustive des ressentis exprimés lorsque l’on demande à une personne lambda de décrire les bâtiments de l’université de Nanterre :

  • C’est moche,
  • C’est froid,
  • C’est sans âme,
  • Aucun esthétisme,
  • C’est vieux.

Alors que personnellement, je suis incapable de penser cela ; pour moi, les bâtiments Veil, Zazzo ou encore Grappin sont d’une beauté brute, réelle, concrète.

Ils sont remplis de grands halls, tout autant prédicateurs de foules, vivaces et entremêlée que de vagabondages solitaires dans l’immensité.

Ils sont décrépits, les portes grinces et des affiches révolutionnaires à demi arrachées ornent ses murs. Les pas résonnent sur un carrelage usé. Des générations d’étudiants ont foulé ces sols, fustigés ces murs et attendu patiemment leur fin de journée. Assis dans des chaises inconfortables, regardant vaguement l’extérieur entre les rideaux ternes.

Le brutalisme est une mélancolie, un rappel à notre humanité. Oui, il est froid, impersonnel et plus pratique qu’esthétique.

Mais de là vient sa beauté, une sorte de spleen architectural.

L’humanité est parfois froide, terne et brutale.

Et dans ses aspects, le brutalisme nous rappelle que nous ne sommes pas des blocs de béton inanimés. Nous sommes bien des êtres chauds, vivants, ressentant la moindre brise, la moindre émotion et les vibrations du quotidiens.

Ces bâtiments nous permettent de vivre et de faire raisonner des rires, des pleurs, des cris, des joies. Ces façades rectilignes nous toisent et nous mettent au défi d’exister, comme elles, peu importe les on-dit.  Elles se dressent fièrement et font frémir les bulldozers, outils de l’effacement patrimonial, tant elles sont massives, ancrées et solides.

C’est cette fierté qui donne tout son sens. Ces bâtiments ne mentent pas, ils ne se veulent pas beaux et baroque, ils sont utiles, servent à vivre, étudier, dormir,… 

Sous cette pensée, elle est l’architecture la plus humaine et la plus humaniste.

Sous cette pensée, elle est l’architecture la plus altruiste.

Elle est la sincérité et la vérité.

Elle répond à nos besoins et a même l’outrecuidance de s’affranchir du « beau ». Elle est le reflet de nos affirmations individuelles et d’une beauté coupée du convenu. Que ces bâtiments facent 10, 30, 50, 100 mètres de haut, ils ne sont pas prétentieux, ils ne cherchent pas à nous impressionner, ils existent simplement.

La froideur n’est pas seulement tristesse, elle est poésie. Ces droites frôlent le ciel, elles sont des lignes de fuite dans le réel, elles sont les préparatifs d’œuvres humaines.

L’architecture a souvent fait passer le beau, le regard de tous, des autres et la parade avant ceux qui utilisent ces lieux, y vivent, travaillent, étudient.

Avec les mêmes ressources, un plus grand nombre est à l’abri.

Le durable et l’utile sont maîtres mots,

Et deviennent les étalons du beau.

 


Pour conclure, rejeter complétement l’esthétique brutaliste c’est se couper des beautés de nos sociétés. C’est se couper d’une partie de notre historie et d’une partie de notre humanité. C’est un patrimoine qu’il faut chérir et enrichir. Le brutalisme n’est pas mort, et il ne le sera jamais tant que l’humanité sera dotée de sensibilité.

Le béton, l’acier et le verre peuvent être autre chose que des bâtiments aseptisés, si l’on sait les lires, les regarder et les écouter, ils dépeignent une petite partie de notre humanité.

Avec le bon regard, la beauté est presque partout…

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