Vers la reconnaissance du juge comme créateur de règles de droit par Cyprien DUFOURNIER

En France comme en Allemagne, le droit prétorien n’apparait pas sur la liste des sources de droit. Ceci s’explique par la suprématie de la loi considérée comme la source de droit principale, conjuguée à la faible portée des décisions judiciaires. Le juge, selon l’opinion dominante des deux pays, n’est que l’interprète du droit, et non un créateur, rôle farouchement réservé au législateur. A cette conception, défendue par une opinion majoritaire, s’oppose une autre vision selon laquelle la jurisprudence émanant des hautes cours a acquis une portée telle qu’on pourrait lui conférer la qualité de source de droit.

Le juge peut-il créer la règle de droit? Cette interrogation peut sembler incongrue dans les systèmes juridiques français et allemand, dont les droits sont essentiellement législatifs: En principe, le législateur, auteur de la loi, est l’unique détenteur d’un tel pouvoir, la jurisprudence étant cantonnée à un simple rôle d’interprète de la règle de droit. L’enjeu est de taille, puisqu’il concerne l‘organisation du droit objectif, c'est-à-dire le droit tel qu’il est énoncé, sans prendre en compte son application: ce dernier se fonde sur les règles de droit, règles générales et impersonnelles dont l’objectif est d’organiser la vie en société (J-L Aubert/ E. Savaux, in introduction au droit, page 8).En réalité, ce monopole du législateur n’a de cesse d’être contesté en France comme en Allemagne. Deux conceptions s‘opposent: La première, dite dominante, est celle qui défend cette mainmise de la loi comme source de droit quasi exclusive, accompagnée en moindre mesure de la coutume, et ce afin d’éviter que le juge ne se substitue au législateur, tandis que la seconde estime que le droit émanant des décisions des juges est en train d’acquérir cette qualité de créateur de règle de droit. Ce point de vue n’est pas sans rappeler le fameux Case law anglo-saxon, système au sein duquel s’applique la règle du précédent, selon laquelle le juge est lié aux règles établies par les décisions antérieures. Autrement dit, ces dernières auraient force de loi. Nous n’en sommes pas encore là nous explique Bernd Rüthers, qui dans son ouvrage intitulé Rechtstheorie traite de ce débat doctrinal, en consacrant une place significative à la deuxième opinion. Selon lui, la position dominante n’a pas su évoluer et prendre conscience de l’avènement progressif du droit prétorien comme source de règle de droit à part entière. Arrêtons nous sur le terme de jurisprudence : Que désigne t-il ? En droit allemand, la jurisprudence signifie le droit prétorien ou jurisprudentiel (Thomas Vesting, in Rechtstheorie) Si la réponse française n’est pas aussi simple puisque de nombreuses définitions sont proposées sans que l’une ne prévale, le sens issu du droit allemand constitue une des réponses possibles. Pour éviter toute ambiguïté, nous retiendrons la jurisprudence comme celle du droit du juge, autrement dit, le droit d’origine jurisprudentielle, l’œuvre des tribunaux (Philippe Jestaz in la jurisprudence, ombre portée du contentieux, p.149). Définissons maintenant le droit prétorien, ou jurisprudentiel. Selon Bernd Rüthers, il s’agit de toutes les règles décisionnelles, appelées règles jurisprudentielles, qui n'apparaissent pas dans la loi mais dans les décisions des juges: Elles figurent non dans le droit objectif émanant de la loi mais dans les décisions de justice des hautes ou dernières instances, celles qui vont combler un vide juridique ou qui vont s'écarter de la loi. Celles qui comblent ce vide juridique sont les décisions qui interviennent dans des domaines qui n'ont pas été codifiés par la loi: Par exemple, lorsque sont précisés des termes juridiques vagues, des clauses générales, l'interprétation de termes mentionnés dans la loi, ou encore des dispositions tendant à un objectif que les Cours poursuivent elles-mêmes (Bernd Rüthers, in Rechtstheorie, p. 154). Les règles décisionnelles qui s’écartent de la loi sont réparties en quatre catégories : Les deux premières constituent les décisions qui s’écartent de façon claire du contenu de la loi lorsqu’elle apparaît comme imprécise ou remise en cause. Autre possibilité, les corrections du juge au sens de la loi, en admettant qu’il est permis aux utilisateurs du droit de s’éloigner non seulement du contenu, mais également du sens des règles légales. La dernière catégorie est constituée des règles décisionnelles par lesquelles le juge va s’affranchir de son assujettissement à la loi, lorsqu’il désobéit à une loi en vigueur et tranche un litige selon une évaluation libre, comme la législation l’interdit. Dans ce cas, le juge va créer un nouveau droit (Bernd Rüthers, ibidem, p. 528). En France, le droit prétorien constitue une dogmatique édifiée par le juge à partir des solutions jurisprudentielles et disséminée dans les recueils de jurisprudence et dans les bases de données accessibles sur internet, et vue, reprise et commentée par la doctrine (Philippe Jestaz, ibidem, p.149). Ce droit prétorien constitue-t-il une source créatrice de règle de droit à part entière, au même titre que la loi, ou se borne t-il à interpréter les règles émanant de la loi? Pour tenter de répondre à cette question, il convient d'analyser les arguments de chacune des parties. En effet, si en France comme en Allemagne, la position dominante écarte la jurisprudence comme source de règles de droit, n'octroyant au juge qu'un simple pouvoir d'interprétation des règles de droit édictées par la loi et la coutume (I), le courant selon lequel le droit jurisprudentiel détient la qualité de véritable source de droit s'est considérablement développé en droit allemand, tout comme en droit français (II).

I. Pour l'opinion dominante, le droit jurisprudentiel ne constitue pas une source de droit.

a) Le rôle du juge minimisé par la toute puissance de la Loi

La qualité de source de droit du droit prétorien est très discutée en Allemagne. Comme en France, certains la réfutent : En raison de la séparation des pouvoirs, il n'y a que deux sources de droit interne, à savoir les lois et la coutume (Bernd Rüthers, ibidem, p.236). Les décisions du juge n'auraient ainsi aucune autorité autonome, qui leur permettrait de se rapprocher de la coutume. Lors de la rédaction du code civil allemand, ce point de vue était dominant, même si la coutume elle-même n'était en fait que "le produit de la capacité de création du juge" (B. Mugdan, in Die gesamten Materialien zum Bürgerlichen Gesetzgebung für das Deutsche Reich) En effet, une coutume n’est véritablement reconnue en tant que telle que dès lors qu’elle est retranscrite dans une décision de justice : La coutume ne constitue véritablement du droit qu’à partir du moment où le juge choisit d’en faire application (Rafael Encinas de Munagorri, Introduction générale au droit, p.104). Ce dernier doit en cas de litige se prononcer sur l’existence de l’usage en question comme règle juridique (Cass. Civ. 1, 17/03/1982). Une coutume ne sera considérée comme une règle de droit dès lors que le juge aura constaté deux conditions : un élément objectif ou matériel selon lequel la pratique doit avoir un caractère général, ou comme le résume le doyen Carbonnier « une certaine épaisseur dans l’espace et dans le temps », ainsi qu’un élément subjectif selon lequel une pratique n’accède au rang de coutume que si elle est considérée comme du droit dans l’opinion, ou opinio juris (Rafael Encinas de Munagorri, Introduction générale au droit, p. 97). En droit français, les réticences sont tout aussi grandes. La séparation des pouvoirs défend au juge de s’immiscer dans le travail d’élaboration des règles de droit, rôle a priori jalousement conservé par le pouvoir législatif. Ceci s’explique par le fait que la loi votée par les assemblées est censée être l’expression de la volonté populaire, en vertu de la théorie de la représentation (Gérard Cornu, Introduction au droit civil, p. 48). Seul le législateur met en place les lois, et seules les lois, et à moindre mesures les coutumes, sont créatrices de règles de droit.

Les sources formelles du droit sont celles au sein desquelles naissent les règles de droit, les différentes façons dont les règles juridiques sont établies. Selon la doctrine dominante, on distingue donc deux types de sources: Les lois que la société se donne, les coutumes que la société suit. Et la liste s'achève là. On ne pourrait qualifier la jurisprudence de source formelle suivant cette définition, étant donné qu'une décision prétorienne n'est pas à la source un élément constituant de l'ordre juridique, un morceau de droit positif émanant d'une volonté dotée du pouvoir autonome d'en décider, comme l'énonce l'article 5 C.civ (Gérard Cornu, ibidem, p.47). En vertu de cette règle, le juge n’est pas censé créer le droit, il l’invoque, le dit. Il ne peut que s’y référer, et non l’édicter. Dans ce sens, l’article 20 de la constitution allemande énonce que la « jurisprudence est obligée à l’égard de la loi et du droit », ce qui signifie que le juge ne peut en principe créer de règles qui s’affranchiraient des dispositions légales, il n’est pas un créateur de règle de droit (Kaufmann, Hassemer, Neumann, Einführung in Rechtsphilosophie und Rechtstheorie der Gegenwart, p. 251). Le juge est lié par la loi : Il « tranche les litiges conformément à la règle de droit » (art.12 CPC), et se contente de dire le droit sans instaurer de règle de droit.

b) L’autorité relative des décisions judiciaires

Une première explication réside dans l'absence de toute stabilité de la règle émanant de la jurisprudence : Il n'existe aucune obligation pour les juges de statuer en conformité avec les précédents judiciaires (Rafael Encinas de Munagorri, ibidem, p.114), nulle décision n'étant à l'abri d'un revirement de jurisprudence, d‘où une certaine incertitude. Une règle jurisprudentielle ne s’impose pas aux juges, contrairement à une règle de droit. Comme l’énonce l’arrêt Civ.1e, 9 oct.2001: « nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée ». Et ce n’est pas la répétition ou l’addition de plusieurs décisions successives de même sens qui pourrait avoir comme résultat de créer une règle de droit, leur constance n’étant que la marque d’une certaine stabilité de l’interprétation que donnent les juges de l’ordre juridique, interprétation fondamentalement dépendante de la loi (JL Aubert/ E. Savaux, Introduction au droit, p.170). En outre, l'article 5 C.civ interdit au juge "de se prononcer par voie de disposition générale et règlementaire sur les causes qui leur sont soumises". Ainsi, le législateur cherche à empêcher le juge d'énoncer des règles qui permettraient de résoudre des conflits pour l'avenir, se substituant alors au rôle de ce même législateur. Une telle "dérive" avait été constatée durant l'ancien régime, et la prohibition des arrêts de règlements en est le remède. Le juge ne peut se contenter pour justifier sa décision, d’invoquer un précédent judiciaire : La motivation requise pour la validité du jugement s’entend de la référence directe à la règle de droit. Si le jugement sur le fond ou définitif a effectivement l’autorité de la chose jugée, conformément à l’article 480 du C.P.C, cette autorité est relative: D’après l’article 1351 C.civ, la chose jugée n’existe en fait que relativement au même objet et à la même cause qu’entre les parties agissant en la même qualité (Gérard Cornu, ibidem, p.191). En cela, le juge ne pourrait créer de la règle de droit, et se contenterait d’interpréter la loi, en l’ajustant ou la réadaptant si besoin est.

Il est vrai que le Bundesgerichtshof lui-même suit cette position dominante, et n'attribue aucunement la qualité de règle de droit à ses décisions. Mais sous la poussée de l'influence de la jurisprudence émanant de ces instances sur ce qui constitue le droit en vigueur dans la vie juridique quotidienne, on assiste à une reconnaissance progressive du droit du juge comme véritable source de droit (K. Larenz, Methodenlehre der Rechtswissenschaft, p. 429). Cette évolution -et il faut le préciser- ne concerne que les décisions émanant du Bundesgerichtshof: Les décisions simples rendues par les tribunaux ne peuvent à elles seules créer une véritable règle de droit. Seules les hautes cours créent de la jurisprudence, comme en France où l’adage veut qu’ « il n’y ait de jurisprudence que de la Cour de cassation ». Bernd Rüthers dresse les limites de cette approche, qui selon lui sous estime la faculté propre de la jurisprudence à créer des règles de droit, et l’évolution lente mais inexorable qui tend à donner au pouvoir judiciaire le pouvoir de créer la règle de droit au détriment du pouvoir législatif.

II. La deuxième approche, ou la consécration du droit prétorien comme source de règle de droit

a) Un droit jurisprudentiel véritable créateur de règles de droit

Envisageons maintenant l’approche selon laquelle la jurisprudence s’affranchit de son rôle de simple interprète de la loi pour devenir une véritable créatrice de règles de droit, à l’instar de la loi.

Cette position s’est considérablement développée en droit allemand, comme nous l’explique Bernd Rüthers, d’après qui l’on peut reconnaitre la qualité de source de droit aux décisions de principe du Bundesgerichtshof qui répondent à une nouvelle question de droit ou qui mettent en place une solution différente de celle jusqu'alors établie. Ainsi, une seule décision suffit à créer une règle de droit. Cette affirmation ne vaut pas pour les simples décisions des tribunaux, mais uniquement pour les décisions de principe du Bundesgerichtshof Bernd Rüthers, ibidem, p.156). Les décisions simples rendues par les tribunaux ne peuvent à elles seules créer une véritable règle de droit. Seules les hautes cours créent de la jurisprudence, comme en France où l’adage veut qu’ « il n’y ait de jurisprudence que de la Cour de cassation ».

L’idée n’est pas récente en droit français. Déjà en 1934, Henri Capitant affirmait que « la jurisprudence est une source du droit comme la loi elle-même ».

Historiquement, on ne peut nier que la jurisprudence a eu un rôle créateur : Elle a élaboré certaines constructions devenues depuis parties intégrantes du système juridique français : Ainsi, à la fin du XIXe siècle le juge a-t-il mis en place de nombreuses théories aujourd’hui reconnues et consacrées, comme l’abus de droit ou encore l’enrichissement sans cause. Il s’agit de règles prétoriennes de droit positif (G. Cornu, ibidem, p.231). De même en Allemagne, de nombreux domaines ont été majoritairement voire entièrement codifiés par la jurisprudence des hautes instances, par exemple en droit du conflit social (Arbeitskampfrecht).

Autre constat, c’est l’autorité morale que revêt la jurisprudence : Son influence est souvent décisive. L’interprétation, la précision du sens de la loi, la désignation de la règle de droit applicable et son application faites par la Cour de cassation seront généralement reprises par les juridictions inférieures, même si le spectre du revirement de jurisprudence n’est jamais loin. Pour autant, comme l’explique Merlin, on constate une présomption en faveur des précédents : « lorsque la jurisprudence est établie, pour la remettre en cause, il faut avoir une raison sérieuse » (in G. Cornu, ibidem, p.232). Ceci s’explique notamment par le rôle d’unification de la règle de droit applicable de la Cour de cassation, dans le cadre de la hiérarchie existant entre elle et les autres ordres de juridiction: Si cette hiérarchie n’explique pas tout, elle joue un rôle important dans le phénomène jurisprudentiel. Le respect des opinions acquises par les Cours supérieures fait pression, et peu de juges osent braver la censure de la Cour de cassation (Marianne Saluden, in le phénomène de la jurisprudence).

L’analyse de Rüthers pour le droit allemand est la même : « Le fondement permettant de qualifier le droit prétorien comme source de droit intervient indirectement. On ne reconnait en fait à ces décisions une nature de source de droit qu'en constatant les réactions des autres Cours et de la vie juridique ». Les décisions de la Cour de cassation auront un impact sur les juges des juridictions inférieures, qui vont s’y adapter.

L'hypothèse selon laquelle le droit prétorien constitue une source de droit impose certaines considérations.. En Allemagne comme en France, une des caractéristiques d'une source de droit est son universalité. Le principe moteur de la décision rendue doit alors répondre à cette exigence. Rüthers explique en outre que les principes de légalité reconnus, qui sont valables pour les lois, doivent l'être également pour de telles décisions: sécurité juridique, ou encore protection garantie par la loi aux personnes de bonne foi. Des changements de jurisprudence ne sont en effet pas à exclure, ce qui laisse planer un risque quant à la protection de tels principes.

Le droit communautaire a quant à lui remis en cause le principe d’autorité relative des décisions judiciaires, en admettant, à titre exceptionnel, la validité de revirements pour l’avenir : C’est le cas dans la jurisprudence de la CJCE du 08 avril 1976 Defrenne, ou encore Pinna I du 15 janvier 1986. En outre, l’article 231 du TCE reconnaît cette faculté, de portée générale, dans le cas particulier du recours en annulation d’un règlement communautaire (P. Morvan, le revirement de jurisprudence pour l’avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon, p.248). De même, la Cour européenne des droits de l’homme admet le revirement de jurisprudence pour l’avenir, au nom « du principe de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire », dans des arrêts Marckx du 13 juin 1979 et Vermeire, du 29 novembre 1991. Il s’agit bien d’une véritable consécration pour la jurisprudence : le juge crée des règles s’imposant aux décisions futures.

b) Enjeux et comparaison avec le Case Law

L’hypothèse de la jurisprudence source de règle de droit soulève un paradoxe dans l’équilibre des pouvoirs: En effet, comme l’explique Philippe Jestaz, la cassation avait été instaurée en France afin que le pouvoir législatif fût le seul atelier de fabrication du droit. En réalité, c’est plutôt un nouvel atelier rival qui a vu le jour, puisque le juge de la cour de cassation peut également prétendre à créer des règles de droit. Certes, le problème de l’instabilité de la règle jurisprudentielle demeure tout entier. Mais si la menace des revirements de jurisprudence est bien réelle, le processus de formation des règles favorise néanmoins le maintien de jurisprudences constantes, la répétition d’une même règle prétorienne pour motiver une décision de justice va renforcer l’autorité de la règle jurisprudentielle (R. Encinas de Munagorri, ibidem, p.114).

Alors, le droit prétorien est-il oui ou non une source du droit ? Si l’on compare les droit français et allemand avec le Case Law américain, force est de constater que la distinction ne peut se limiter au fait que les deux premiers sont traditionnellement des droits codifiés, et le second un droit purement fondé sur les précédents, d’autant plus que le droit législatif joue également un rôle aux Etats-Unis. En réalité, la différence réside dans le fait qu’en Allemagne comme en France, les décisions de la Cour de cassation comme du Bundesgerichtshof ne peuvent en principe lier les juges du fond ni les hautes cours elles-mêmes. Ainsi, on peut dire que si l’on ne peut pas parler de fusion entre Case Law et droits codifiés français et allemands, il y a un bien rapprochement.

Il faut l’admettre, le droit prétorien n’est pas un simple outil d’interprétation, le pouvoir du juge est tel qu’il se rapproche de celui du législateur. Philippe Jestaz rappelle la formule résumant bien la situation actuelle en droit français, selon laquelle « la jurisprudence est une source du droit mais il ne faut surtout pas le dire », et ce pour diverses raisons : la défense de la sacro-sainte séparation entre pouvoirs judiciaire et législatif, et la tradition qui en découle, selon laquelle droit français comme droit allemand sont des droits codifiés. Personne ne veut d’un Case law à l’américaine en France ou en Allemagne, mais l’épouvantail de l’instabilité du droit prétorien ne suffit plus à nier la réalité. La Cour de cassation s’est risquée, dans un arrêt du 08 juillet 2004 de la deuxième chambre civile, à accomplir un véritable revirement de jurisprudence pour l’avenir, même si elle s’abstenait de censurer l’arrêt déféré (P. Morvan, ibidem, p.247). Certes, un arrêt de la chambre sociale datant du 17 décembre 2004 a corroboré le raisonnement de la précédente décision, néanmoins le revirement pour l’avenir a été envisagé sérieusement en France. L’Allemagne quant à elle est nettement moins frileuse à ce sujet, à l’image de Bernd Rüthers, qui lui a franchi le Rubicon, quand il déclare que « les décisions de principe du Bundesgerichtshof possèdent dans l’ordre juridique une fonction de créatrices de règles de droit ».

Bibliographie

Ouvrages de droit français

J-L Aubert/ E.Savaux, Introduction au droit, 12e édition, 2008, Sirey Gérard Cornu, Introduction au droit civil, 13e édition, Montchrestien, 2007 Rafael Encinas de Munagorri, Introduction générale au droit, Edition revue et augmentée, Flammarion, 2006 Merlin, Référence dans Gérard Cornu, Introduction au droit civil, 13e édition,, Montchrestien, 2007

Ouvrages de droit allemand

Kaufmann, Hassemer, Neumann, Einführung in Rechtsphilosophie und Rechtstheorie der Gegenwart, 7. Auflage, CF. Müller K. Larenz, Methodenlehre der Rechtswissenschaft, 6. Auflage, Berlin 1991 B. Mugdan, Die gesamten Materialien zum Bürgerlichen Gesetzgebung für das Deutsche Reich, Bd.I, Berlin 1899 Bernd Rüthers, Rechtstheorie, 3. Auflage, Beck Verlag, 2008 Thomas Vesting, Rechtstheorie, Verlag C.H. Beck, 2007

Articles

Philippe Jestaz, La jurisprudence, ombre portée du contentieux, Recueil Dalloz, 24e cahier, 1989. Patrick Morvan, Le revirement de jurisprudence pour l’avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon, Dalloz 2005, Chronique 247 Marianne Saluden, le phénomène de la jurisprudence, étude sociologique, thèse, Paris II, dactyl., 1983

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