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Réminiscence manquée

justine.tosonian - Posted on 10 février 2010

   Eternal Sunshine of the Spotless Mind est un film réalisé par Michel Gondry (The Science of Sleep, Be Kind rewind, mais il a également réalisé les clips des plus grands : Björk, White Stripes, Chemical Brothers, Beck, Etienne Daho, Kylie Minogue, etc. Et n’oublions pas bien sûr les centaines de spots publicitaires réalisés pour Air France, Nike, Nespresso, Levi’s, etc.). Ce film a un scénario assez simple : New-York. Joel Barrish (Jim Carrey) et Clémentine Kruczynski (Kate Winslet) sont un couple à la dérive. Une énième dispute éclate, Joel va trop loin, Clémentine s’en va. C’est alors que le film commence à tomber dans une sorte de science-fiction : Clémentine prend contact avec la firme new-yorkaise « Lacuna Inc. » afin d'effacer Joel de sa vie (le terme « lacuna » renvoie au mot « lacune », quelque chose de manquant ou d'oublié. L'amnésie lacunaire est l'absence de souvenir dans la mémoire de quelqu'un à propos d'un évènement particulier). Joel apprend cet effacement de mémoire par une lettre envoyée par la même firme lui demandant de ne plus prendre contact avec Clémentine. Anéanti, il décide d’effacer Clémentine de sa mémoire. Nous sommes dans la tête de Joel, en train de revivre ses souvenirs heureux, tristes, fous, drôles effacés un à un. Se retrouvant face à ce qu’il aime tant chez « Clem », il se lance dans une lutte contre l’oubli. Vous l’aurez compris, les thèmes principaux de ce film sont la mémoire et l’oubli.


   Dans le film, on remarque une alternance entre des moments où la mémoire et l’oubli s’entrechoquent (souvenirs de Joel dans lesquels une voiture s’écrase violemment au sol, ou encore une scène dans laquelle une maison est complètement détruite), et d’autres où les deux se fondent l’un dans l’autre, se séparent à la seconde près (le moment où Clémentine se fait happer par l’oubli, ou encore le souvenir de la rupture dans lequel Clémentine disparaît et réapparaît comme si de rien n’était). Je crois qu’on peut se demander où Michel Gondry veut en venir. Est-il en train de nous montrer que le rapport entre la mémoire et l’oubli est bien plus qu’une simple opposition ? Est-ce qu’il veut dire que nous avons besoin des deux pour vivre ?                                                                En effet, nous ne pouvons pas nous rappeler de tout ce que nous avons vécu –le cerveau ne peut pas emmagasiner autant d’informations- : c’est alors qu’intervient l’oubli. L’oubli des petites choses insignifiantes, inutiles, ponctuelles ; la réduction à un vague souvenir d’un pan malheureux de notre vie. Inversement, notre mémoire nous construit, nous apprend à ne plus faire les mêmes erreurs, nous aide à prendre du recul. Alors on peut affirmer que la mémoire et l’oubli sont dépendants l’un de l’autre : ce lien crée une sorte d’équilibre instable.


   Pourquoi est-ce que je parle d’équilibre instable ? Parce que la mémoire surpasse constamment l’oubli et inversement : au final, il y en a toujours un qui prend le pas sur l’autre pour mieux se laisser dominer par l’autre. Et c’est effectivement ce qui se passe dans ce film : le spectateur ne sait pas exactement si le souvenir qu’a Joel de tel ou tel moment est fidèle ou non à la réalité. D’où les curieux mais néanmoins discrets détails introduits par Michel Gondry tout au long du film : Clémentine n’a plus qu’une jambe dans tel souvenir, une partie de la chambre manque dans tel autre, etc. Michel Gondry veut nous montrer que quelque chose ne va pas, que le souvenir a été partiellement oublié. 
 

   Mais Michel Gondry ne s’arrête pas là : il se demande, il nous demande si le fait d’effacer quelqu’un de son esprit implique forcément de l’oublier complètement. Ne reste-t-il pas de traces physiques de l’autre ? Journal, photographies ? Non, puisque dans le film, Joel rassemble toutes les affaires ayant un quelconque lien avec Clémentine et les donne au Dr. Howard Mierzwiak (qui s’occupe d’effacer la mémoire des gens). Alors, reste-t-il des traces psychologiques enfouies au plus profond de l’inconscient ? Cette idée est suggérée par les nombreux décalages dans certains dialogues : Patrick, nouveau petit ami de Clémentine après « l’expérience Lacuna », travaille chez Lacuna et s’est occupé du cas de Clémentine (bien évidemment, elle n’en sait rien) ; il est tombé amoureux d’elle durant la phase d’effacement et a volé, lorsqu’il s’est ensuite occupé du cas de Joel, toutes les affaires concernant la relation amoureuse entre Joel et Clémentine pour en quelque sorte « voler » la personnalité de Joel (il se sert du journal de Joel et lui vole ses phrases pour séduire Clémentine, lui offre ses cadeaux, etc.). Ce qui enclenche des stimuli inconscients dans l’esprit de Clémentine : lorsqu’ils se retrouvent sur le lac gelé (expédition déjà faite avec Joel) et que Patrick répète exactement les paroles que Joel avaient prononcées à Clémentine, celle-ci a tout de suite envie de s’en aller. Ou encore lorsque Patrick dit à Clémentine qu’elle est gentille (adjectif très souvent employé par Joel), elle réagit violemment et lui répond « Quoi ?! ». Ici, Gondry suggère non seulement l’idée d’un possible souvenir de l’autre par-delà l’effacement mais également l’idée de destinée, comme si Joel et Clémentine étaient destinés à se retrouver (ce qui arrive à la fin et au début, ils se rencontrent une deuxième fois à Montauk), car l’oubli ne change pas la personnalité des individus : deux êtres auparavant ensemble continueront à l‘être, même s’ils se sont oubliés car ils gardent en eux ce qui a charmé l’autre. 
 

   Parlons du titre : Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Éclat éternel de l'esprit immaculé). Il est tiré du poème « Eloisa to Abelard » d'Alexander Pope :


« How happy is the blameless Vestal's lot!
The world forgetting, by the world forgot;
Eternal sunshine of the spotless mind!
Each pray'r accepted, and each wish resign'd.”
 

Ce qui donne à peu près :
 

« Que le sort de l'irréprochable vestale est heureux !
Le monde oubliant, par le monde oublié ;
Éclat éternel de l'esprit immaculé !
Chaque prière exaucée, et chaque souhait décliné. »
 

Ce poème fait référence à une histoire d’amour malheureuse. Si l’on prend le titre plus en détails, on se rend compte que « l’esprit immaculé » fait référence à l’oubli total, à une renaissance et vante les mérites d’une condition d’oubli, comme l’apologie d’un esprit immaculé de tout souvenir malheureux.  
   

   L’exemple le plus flagrant d’une confrontation entre l’oubli et la mémoire est sans conteste la relation qui lie le Dr. Howard Mierzwiak et sa secrétaire Mary. Tous deux ont vécu une histoire d’amour alors qu’Howard était marié : il leur a fallu se séparer et Mary, ne supportant pas cette séparation, a demandé à Howard de lui effacer la mémoire. Le problème n’est pas résolu puisque Mary retombe amoureuse d’Howard et l’embrasse. Celui-ci lui avoue finalement l’effacement qu’elle a subi et elle décide de renvoyer tous les dossiers de Lacuna à chaque patient, dont Joel et Clémentine.
 

   Mais l’oubli peut aussi être salutaire : Clémentine a supprimé Joel de sa mémoire car elle est impulsive mais aussi parce qu’elle l’aime trop et qu’elle souffre. Mais l’oubli peut-il réellement aider à avancer ? Est-ce une renaissance comme le dit Mary à propos de ce qu’offre le Dr. Howard Mierzwiak? N’apprend-on pas de nos erreurs ? Comme le dit Alfred de Musset, « l’homme est un apprenti et la douleur est son maitre ». Et pourtant, Joel et Clémentine refont « l’erreur » de retomber amoureux l’un de l’autre sans que leurs différents ne soient résolus. Ils acceptent même de continuer même s’ils savent que cela va sûrement mal se terminer : en effet, ils ont examiné les dossiers que Mary leur a renvoyés. S’ensuit une dispute due à l’incompréhension de la situation, puis une remise en question sur le fait d’être ensemble et enfin :
 

« Joel: I can't see anything that I don't like about you.
Clementine: But you will! But you will. You know, you will think of things. And I'll get bored with you and feel trapped because that's what happens with me.
Joel: Okay.
Clementine: Okay. »
 

Ce qui donne à peu près :
 

« Joel : Je ne vois absolument rien qui me déplaise chez toi.
Clem : Mais ça viendra! Ca viendra. Tu le sais, tu vas te mettre à penser à des choses. Et je vais m’ennuyer avec toi et me sentir piégée parce que c’est ce qui arrive tout le temps avec moi.
Joel : D’accord.
Clem : D’accord. »
 

   Bien sûr, d’autres détails sont présents dans ce film et font référence à la mémoire et à l’oubli, cependant il serait trop long d’en faire l’analyse ici. Je vous invite donc à regarder ce merveilleux film qu’est Eternal Sunshine of the Spotless Mind ! 



Tosonian Justine, L1 Humanités

 



Bande-annonce
 

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