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"Délice Paloma" un film franco-algérien de Nadir Moknèche.
Vous avez besoin de surprendre votre mari en flagrant délit d'adultère ? Contactez madame Aldjéria, elle s'occupera de tout. Votre affaire ne marche pas car la concurrence est trop forte? Appelez madame Aldjéria et votre affaire sera prospère. "Bienfaitrice nationale" se surnomme celle qui a pris le prénom de son pays, mais qui est avant tout une femme de caractère, une femme d'affaires. Les coups tordus, le chantage, madame Aldjéria navigue dans les méandres du système algérien avec aisance. Elle est entourée par son clan; sa soeur sourde et muette, son assistante nommée Shéhérazade (Manel Touati) qui fait commerce de son charme en fonction des affaires à traiter, son associé homosexuel, maître Djaffar (Lyes Salem), avocat véreux, une ravissante novice Rachida ( Aylin Prandi), surnommée Paloma pour les affaires, qu'elle entend former aux subtilités de l'extorsion, et un fils Ryad ( Daniel Lundh), homme à femmes, qui est la prunelle de ses yeux. Mais un jour, c'est l'affaire de trop: les thermes de Caracalla, thermes de sa jeunesse près de Fouka, que madame Aldjéria veut racheter, rénover et transformer en "thermes d'Aldjéria". Pour cella elle se met en contact avec l'ancien ministre des droits de l'homme qui doit favoriser la réalisation de ce projet moyennant un gros pourcentage sur les futurs bénéfices. Mais l'affaire tourne au vinaigre, la justice s'en mêle et condamne madame Aldjéria à trois ans derrière les barreaux. La sortie de prison marque le début du film. Sur l'air de la chanson " je pense à toi Paloma", madame Aldjéria revient sur son passé et sur les raisons de son emprisonnement.
Nadir Moknèche aborde sans détours de nombreux tabous de la société algérienne dont son système politique corrompu. Il aborde également la difficile émancipation des femmes et évoque l'homosexualité.
Après Le harem de Osmane (2000) et Viva Laldjérie (2004), Nadir Moknèche nous délivre une comédie dramatique aux couleurs de l'Algérie. Biyouna (dans le rôle de madame Aldjéria), son actrice fétiche, transcende le film tant par la profondeur qu'elle insuffle à son personnage que par sa présence extraordinnaire. Sa voix profonde et éraillée nous emporte avec elle dans l'Alger d'aujourd'hui, mélange subtil de douceur et de douleur. Biyouna incarne une femme forte, indépendante et qui affiche sa féminité. Elle fume, boit, manipule les hommes, navigue avec aisance dans les affaires louches aux franges de la légalité. Une forte tête qui doit se battre contre les démons de l'islamisme. Elle se moque des femmes voilées, "les corbeaux" comme elle les surnomme. Libre mais seule, infiniment seule: "mais c'est ce qui fait ma force aussi!" hurle-t-elle. Entre liberté et entrave: c'est l'histoire de cette Algérie qui a du mal à suivre le rythme, le poids d'un islamisme encore présent, une situation économique catastrophique, un système administratif et politique corrompu. Mais c'est également la peinture d'une Algérie qui se relève à peine de la guerre d'indépendance et des attentats de 1995, des blessures qui ont du mal à cicatriser. Cette Algérie qui veut s'en sortir, infiniement humaine, riche en histoire, en culture et en tradition, Nadir Moknèche nous la délivre avec sensibilité et Humour.
Plusieurs histoires d'amours s'enchevêtrent subtilement. L'amour d'une femme pour la ville d'Alger se mêle à l'amour d'une mère pour son fils. Ryad, fils unique, fruit d'une relation sans lendemain, étouffé par l'amour de sa mère, à la recherche d'identité et de ce père italien qu'il n'a jamais connu et qu'il ne connaîtra sans doute jamais. Il abandonne sa mère et fuit en Italie pour retrouver ce dernier avec la fille qu'il aime, employée de sa mère, Paloma, qui rêve d'être danseuse mais qui ne sera qu'"escort girl". Déception d'un lendemain qu'elle croyait sien. Par ces personnages féminins aux destins différents, Nadir Moknèche nous dévoile les difficultés qu'a la jeunesse à construire son avenir. Il évoque la société algérienne à travers trois portraits de femmes, Biyouna, Shéhérazade et Paloma, qui représentent respectivement trois générations mais surtout différents types d'émancipation. Tous ces personnages symbolisent la société algérienne, ses évolutions, ses cicatrices, ses rêves, ses espoirs et ses souffrances.
Le réalisateur nous livre un véritable cri d'amour pour son pays. Ce film est un tableau d'une Algérie contemporaine et complexe. Nadir Moknèche met en garde contre la recrudescence de l'islamisme. Il s'attaque à des sujets actuels avec une grande sensibilité. L'espoir est là, bien présent, transcendant le film, celui de la jeunesse algérienne, avenir de ce pays ensoleillé que Nadir Moknèche porte dans son coeur et à l'écran avec brio.
Maxime François (L1 Humanités)
(sortie en salle le 11 juillet 2007 et disponible en dvd depuis le 20 février 2008).