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Il va y avoir du sang
Il va y avoir du sang !
Daniel Day Lewis est immense, Paul Dano aussi. « There will be blood », tourné en 2007 et réalisé par Paul Thomas Anderson, en lui-même est immense. L’histoire vous a déjà été contée par mon collègue, avec bien plus de talent que je ne saurais le faire : il est donc inutile d’y revenir. Je pourrais m’attarder sur les musiques, pour vous dire qu’elles font corps avec la pellicule, la mise en scène et l’impression de plénitude qu’elles procurent. Mais je préfère m’attacher à vous décrire avec délices l’affrontement que se livrent les deux protagonistes de cette histoire ; Daniel Plainview, un entrepreneur sans scrupule, et Eli, un jeune « prophète » de l’église de la troisième révélation. Ces deux personnages sont l’attrait principal de ce film tant ils nous livrent une prestation incroyable. Ils sont ambitieux, l’un l’affirme et l’autre feint d’agir pour le bien de sa communauté. On peut voir avec délices une véritable symétrie entre ces deux individus qui sont poussés par l’ambition, une soif de possession, qu'elle soit matérielle pour Daniel ou mentale avec Eli. Ce film est avant tout une métaphore du rêve américain, perverti certes, mais diablement abouti. Le spectateur est interpellé sur la finalité de chacune de nos actions. Qu’elle ait été entreprise hier ou il y a vingt ans, le moteur est le même : l’envie. C’est l’envers du décor de ces « Oil Men » du début du vingtième siècle : il n’y a pas d’arrangement « juste » et chaque personne agit en essayant de vampiriser le plus de terre.
Je retiendrais deux scènes particulièrement jouissives de ce film. Tout d’abord, la purification de Daniel, par Eli. En effet, l’entrepreneur, qui n’a que faire de la religion, tente par cet acte de foi d’obtenir l’accord d’un fermier sous la coupe du jeune prêtre (il en a besoin pour y construire un oléoduc). Ce dernier est extrêmement violent durant la scène : il n’hésite pas à frapper à de multiples reprises son meilleur ennemi, l’humiliant, le forçant à avouer ses pires fautes devant les yeux de fidèles complètement hypnotisés par la transe du jeune homme. Il agit avant tout par vengeance, puisque Daniel l’a littéralement roulé dans la boue, à coups de poings, après qu’Eli est venu lui réclamer de l’argent pour la paroisse. Mais revenons à la scène de purification en elle même. Nous y voyons un Daniel à genoux, devant l’autel, se faisant bastonner et hurler dans les oreilles par un Paul Dano complètement hystérique et revanchard. L’autre ne sourcille pas, il ne se révolte pas, tout juste essaie-t-il d’atténuer les reproches qu’on lui fait; il n’a qu’un but : traverser cette épreuve pour enfin être maitre de ce territoire. Et c’est ce qui arrive puisqu’à la fin de cette épreuve, on le voit sourire en gros plan et lâcher, autant au spectateur ahurit, qu’à lui-même : « J’ai mon oléoduc, j’ai mon oléoduc, j’ai mon oléoduc ». Cette scène nous montre bien jusqu’à quel point Plainview est capable d’aller pour atteindre son but, qu’importent les manières, qu’importe la route tant que la destination est là…
La deuxième scène, la plus marquante sans doute puisque la dernière, est l’ultime face-à-face entre un prêtre de retour de mission et un Daniel D. Lewis alcoolique et si riche qu’il ne sait que faire de son argent. Il vient de renier son « fils » ou plutôt ce qui lui servait d’ « alibi marketing ». Ce dernier duel est sublime : il révèle la partie sombre d’Eli, déjà entraperçu auparavant. Cet affrontement est d’abord cordial, comme si la hache de guerre n’avait jamais été déterrée et que, malgré leurs nombreuses divergences, il y avait toujours eu du respect. Un peu comme si deux vieux amis se retrouvaient. Puis, progressivement, le millionnaire fait payer au prêtre son humiliation publique lors de purification, il pousse Eli dans ses derniers retranchements, le force à admettre d’abord qu’il est ruiné, mais aussi et surtout que c’est un faux prophète, comme jadis le jeune homme l’avait fait pour Daniel. Enfin cela tourne au massacre, à la quille de bowling, toute la rancœur accumulée, accentuée par l’alcool déclenche chez l’entrepreneur une véritable crise de rage, à la fois froide et meurtrière qui se termine par ces trois mots d’une puissance inouïe : « J’ai fini ». Comme si toute sa vie il avait cherché quelque chose, qu’il n’avait jamais atteint. Comme si toute la fortune qu’il avait amassée, l’empire qu’il avait créé n’avait, au finale, pas de sens. Cet homme n’est pas heureux, il n’est pas accompli, tout ce qu’il a fait ne lui a apporté aucun plaisir, aucune satisfaction; en revanche, l’acte qu’il vient de commettre semble être enfin doué d’une signification. Il a touché au but, même si ce but est un meurtre, son envie s’en est allée ; il est rassasié…
C’est en cela que ce film résolument dramatique est immense - la performance des deux acteurs est à souligner tant ils jouent justes. La crédibilité est totale, le sujet transcendant et le résultat, sidérant. On ne ressort pas indemne face à ce monument qui, de bout en bout, vous emporte dans un torrent de mauvais sentiments. C’est long, mais diablement bon…
Quentin Revert, L3 Humanités