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Pieds nus sur les limaces, par F. Berthaud, avec Ludivine Sagnier et Diane Kruger
C’est un film qui commence par la mort pour finir par la vie. Un film qui nous transmet une énergie, une envie de vivre, de liberté.
Dans une ambiance bucolique, deux sœurs se retrouvent après la mort brutale de leur mère. Lily est un petit cyclone humain d’une bonne vingtaine d’années, qui virevolte en godillots et en jupe courte, suce son pouce et joue comme une enfant dans sa baignoire, tout en affichant une sexualité débridée. En osmose avec la nature, elle habille la forêt environnante d’objets de son invention et pratique avec gaieté la taxidermie, sans considérer le fait de faire des slips en fourrure ou d’empailler des queues de chats écrasés comme anormal, bien au contraire. Si Lily la dingue fourmille d’idées plus exubérantes les unes que les autres, Clara est une citadine comme on en croise tout les jours : classique, elle a fait les bonnes études, s’est mariée avec la bonne personne, et partage sa vie entre son quatre pièces et son bureau d’avocate. Les deux sœurs, que tout oppose, vont donc se confronter pour mieux se comprendre et se retrouver enfin.
C’est ainsi qu’au contact de Lily et de sa franchise presque enfantine, l’apparente maîtrise de Clara ne cesse de se fissurer, témoignant d’une certaine lucidité de la part de sa sœur malgré sa folie manifeste. Ce changement peut sembler à première vue étrange, car nous comprenons souvent les prises de positions de l’aînée qui nous semble raisonnable. Cependant, cette transformation dévoile une jeune femme plus détendue et heureuse, ce qui pose la question de la raison et de la normalité. Pourquoi avons-nous posé des limites, en quoi sont-elles légitimes? Il s’avère au cours du film que le père des deux sœurs s’est pendu dans la cabane du jardin, là où Lily a ensuite installé son atelier. Clara, pourtant la plus « sensée », refuse d’y remettre les pieds, tandis que Lily, pour se souvenir du drame, a pendu un ours en peluche à la place de son père. Un tel comportement nous semble anormal, voir sinistre, mais force est de constater que si Lily a fait face à son deuil, Clara en est incapable. Où se situe donc la fragile frontière entre normalité et anormalité?
Elle qui a toujours dû assurer son rôle de grande sœur modèle pour compenser la différence de sa cadette, Clara se laisse ainsi gagner par la douce folie de cette dernière et finit par entrer dans son univers, en lui proposant à la fin du film de vendre des pantoufles de fourrures et des confitures dans un camion sur le bord de la route.
Nous savons pertinemment que cette alternative est peu vraisemblable et qu’elle ne tiendra pas au long terme, mais ce n’est pas là son but : nous nous laissons emporter dans ce fantasme, parce qu’il est sans doute aussi un peu le notre, vivre libre et heureux, sans s’enfermer dans des valeurs comme la réussite professionnelle ou le gain d’argent que nous inculque notre société. Nous avons envie d’y croire, peut-être parce que cela fonctionne comme une catharsis au théâtre, c’est-à-dire libère les passions des spectateurs en les exprimant sur scène, de manière à ce qu’ils n’aient plus besoin de les exprimer dans la société.
Le film peut ainsi paraître naïf au premier abord, mais il garde cependant sa part de violence, en évoquant les dangers d’une telle différence et des réactions qu’elle provoque, pour nous ramener partiellement à la réalité. Ce pourrait d’ailleurs être un drame, avec quelques scènes où ces dangers apparaissent -au moment où Lily invite une bande d’hommes louches à venir séjourner chez elles par exemple-, mais les épisodes effrayants ne finissent jamais mal comme ils pourraient le faire dans la vie réelle : les deux sœurs s’en sortent toujours, gardant un équilibre constant entre émotion, rire et malaise.
La vie selon Lily est en effet discutable, et sa vision de la sexualité peut en déranger plus d’un ; mais si nous ne sommes pas forcément d’accord avec ses idées, ce personnage a le mérite de remettre en question nos certitudes et nos préjugés. Sa franchise à toute épreuve apporte en plus une touche d’humour cinglant au film, et ne serait-ce que son univers esthétique vaut le détour.
En sortant du cinéma, il nous en reste donc un tourbillon de couleurs dans la tête, et une indiscutable envie de lâcher prise, juste un peu, pour caresser le bonheur qu’elle semble côtoyer, la brise dans les cheveux et le soleil sur la peau.