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Regards croisés sur Vienne - 1900

Regards croisés sur Vienne – 1900

Redécouverte à travers plusieurs expositions dans les années 80, la chute de l’Empire Austro-hongrois à suscité plusieurs interprétations… Peut on (doit-on) les retenir comme acquises ? Rien n’est moins certain. Ballade dans la Vienne fin de siècle, à travers le regard de trois intellectuels…

Président du musée d’Orsay et commissaire de l’exposition « Vienne 1900 » (Grand Palais 2005) Serge Lemoine, affirme qu’en France le thème devient mode en 1986, avec l’exposition du centre Beaubourg. Une mode et un contresens historique : le titre de l’exposition, « Apocalypse joyeuse » a pu faire penser que le mouvement culturel viennois avait prévu
voire préfiguré la catastrophe de 1918. Le germaniste et spécialiste de la question viennoise Jacques Le Rider et l’historien Carl Schorske, ont montré qu’en fait les talons d’Achille de l’Empire furent : l’antisémitisme, l’antiféminisme, le nationalisme, la haine de la modernité, le militarisme et surtout la perte de l’identité individuelle.

       L'Autriche-Hongrie en 1868.

Sur le rejet du militarisme ambiant, c’est sans doute le poète Rainer Maria Rilke (1875-1926) qui l’exprime le mieux : une armée omniprésente, une promotion sociale qui passe par le métier d’officier… Après un bref enthousiasme patriotique, la Grande Guerre devient odieuse à Rilke : elle fauche à ses racines la démarche d’ouverture au monde exprimée dans les Lettres à un jeune poète (1929). Il se fait nomade, découvre la Russie, se réconcilie avec le monde : avec son amie Lou Andreas-Salomé (1861-1937) ils parcourent ce pays avec une fascination profonde, admire les conceptions féministes et modernes... Comme nombre d’intellectuels, Rilke est redevable à la conception freudienne de l’inconscient. Il en fait l’origine de tout sentiment, de toute possibilité d’expression et de création. Il rejoint le psychanalyste pour qui, l’activité artistique dérive de l’activité sexuelle comme sublimation. « Parmi les forces instinctives refoulées, les
émotions sexuelles jouent un rôle considérable ; elles subissent une sublimation, c’est-à-dire qu’elles sont détournées de leur but sexuel et orientées vers des buts socialement supérieurs et qui n’ont plus rien de sexuel » (Freud, Introduction à la psychanalyse). De son côté Rilke affirme : « L’expérience artistique est si incroyablement proche de l’expérience sexuelle, de la douleur et du plaisir qu’elle donne, que les deux phénomènes ne sont en fait que des formes différentes d’un seul et même désir » (lettre du 23 avril 1903 des Lettres à un jeune poète) !La psychanalyse utilise le rêve et les souvenirs d’enfance ; Rilke, dans les Lettres à un jeune poète, conseille les mêmes champs d’investigation pour nourrir l’inspiration poétique…Installé à Vienne depuis 1886, neurologue et psychiatre, Freud veut explorer l’inconscient,
substituer à l’hypnose la technique « psycho-analytique » (1895). Combat qu’il mena toute sa vie contre la réalité politique et sociale de l’Autriche : comme savant, comme juif, comme citoyen… L’interprétation des rêves occupe une place privilégiée dans son travail. Il y distingue trois niveaux : professionnel, politique et personnel. La profession renvoie au
présent, la politique à l’adolescence et à la jeunesse. Plus éloigné, dans le temps et l’espace, le « personnel » renvoie à la petite enfance et à l’inconscient où survit l’expérience de l’enfance. En s’y attelant, Freud règle ses problèmes : sur le plan professionnel, les échecs accumulés ont nourri chez lui amertume voire désespoir ; par ses antécédents familiaux, ses convictions et ses origines ethniques, il appartient au groupe social le plus menacé par les « forces nouvelles » ; il voit avec anxiété l’arrivée de la nouvelle droite, tant en Autriche qu’à l’étranger. Mais tous les intellectuels ne passent pas par la « case » Freud. Ainsi, le peintre Klimt (1862-1918),  a influencé les peintres viennois de son temps, comme Egon Schiele ou Oscar Kokoschka… À cette époque, c’est la peinture qui donne l’impulsion du renouveau artistique, et Klimt en est le point central.  Pourtant, son parti, très pessimiste, déroute. Son évolution stylistique ne correspond plus à l’académisme ambiant. Il adopte des inspirations plus personnelles : la décoration du grand escalier du Kunsthistorisches Museum de Vienne (1890) est déjà peuplée des femmes fatales qui hanteront son œuvre. Il les dessine nues ou dans des attitudes suggestives. Il affirme aussi son indépendance, sa liberté, son génie. L’académisme, c’est l’inverse, c’est lorsque l’artiste n’imagine aucun changement dans son style.
 

On a dit, pour Klimt, que l’influence de Freud était évidente. C’est faux : Klimt n’a manifestement pas lu les ouvrages du psychanalyste. Ses tableaux peuvent donner lieu à des interprétations psychanalytiques, mais ils ne cherchent jamais à illustrer des concepts freudiens.

 Illustration du poème de Rilke,  "Vorfrühling", figurant dans la revue de la sécession, Ver Sacrum en 1901.


Klimt marque le symbolisme de la Sécession viennoise (1897) : le rejet des conventions, le recours à des allégories complexes, tournée vers l’étranger et vers des conceptions modernes... Regroupant des créateurs, il fonde la revue Ver Sacrum, (Rainer Maria Rilke lui prêtera sa plume) qui véhiculera les idées de "Sécession". Pourquoi parler de sécession ? C’est qu’une guerre de sécession se livre à l'intérieur même des frontières, rompant le contrat social. Le sécessionniste s'isole de plus en plus à l'intérieur de son propre territoire. Il ne marque pas une ouverture mais plutôt un repli sur soi. Il ne s'agit pas de s'approprier le nouveau mais de proposer une relecture des acquis ou, plus radicalement, de tenter de retenir ce qui déjà échappe. S’il y a Sécession, il y a continuité.Engoncé dans ses uniformes, rigidifié dans ses certitudes, fermé au reste du monde, le régime des Habsbourg a, par sa lourdeur institutionnelle, forcé de brillants esprits à s’échapper, par l’art, la littérature, la réflexion.

 

Pour en savoir plus :
Sur l’Empire austro-hongrois
Jacques LE RIDER, Modernité viennoise et crises de l’identité, PUF, 1990.
Carl E. SCHORSKE, Vienne fin de siècle, Politique et culture, Le Seuil, 1983.
Sur Freud
Sigmund FREUD, Psychanalyse (textes choisis), PUF, coll. « Les Grands Textes », 1963.
Sur Rilke
En Russie avec Rilke, Journal inédit, Le Seuil, 1992.
Dorian ASTOR, « le texte en perspective », dans Rainer Maria RILKE, Lettres à un jeune
poète, Folio plus classiques,  2006.
Sur Klimt
Charles FUCHS, Gustav Klimt, Gründ.
Ilona SARMANY-PARSONS, Gustav Klimt, Flammarion.

Mary-Lou Oeconomou.

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