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Gladiator, quand la vengeance devient une rédemption
Gladiator, quand la vengeance devient une rédemption
La première idée qui m’est apparue et que je souhaitais développer est celle de la vengeance. Un thème pas très original, souvent évoqué dans la littérature ou dans le cinéma, mais qui me tient à cœur. J’ai choisi de l’aborder à partir du film Gladiator, de Ridley Scott (Blade Runner, Robin des Bois). De prime abord, on va me dire qu’il n’y a rien de très croustillant là- dedans, que le succès du film est certain et qu’on a dit là-dessus tout ce qu’il y avait à dire, et surtout sur le thème de la vengeance, puisque c’est le thème central du film. A-t-on tout dit, véritablement ?
L’histoire se passe en 180 après Jésus-Christ. Le général Romain Maximus (Russell Crowe, admirable comme toujours) vient de remporter une importante bataille en Germanie sous l’œil du César Marc-Aurèle (Richard Harris). Celui-ci, approchant de la fin de sa vie, décide de confier la direction de Rome au général, afin qu’il redresse la ville éternelle de la corruption qui y règne. Maximus commence par décliner son offre, car son seul désir est de retrouver sa famille en Hispanie, et de toute façon, il n’a pas envie de mener une carrière politique. La nouvelle de cette succession parvient aux oreilles du fils de Marc-Aurèle, le cruel Commode (Joaquin Phoenix, cruel et détestable à souhait), qui, se sentant trahi, assassine son père en l’étranglant, pour faire croire à une mort naturelle. Il se proclame alors César et demande à Maximus de se soumettre à son autorité. Ce dernier refuse, n’étant pas dupe de la mort de Marc-Aurèle. Commode décide alors de l’écarter du pouvoir : il commande qu’on assassine Maximus. Celui-ci parvient à s’échapper et s’enfuit chez lui en Hispanie pour mettre sa famille hors de danger. Mais les hommes de Commode l’ont devancé. Sa femme et son fils sont retrouvés brûlés et pendus devant leur maison. Maximus, arrivé trop tard, est capturé et transformé en gladiateur par Proximo, un homme qui dirige une troupe d’esclaves destinés aux arènes de l’Empire, aux quatre coins du monde romain. Dès lors, Maximus, loin de son ennemi, s’entraîne, et tâche par son habileté de retourner à Rome, où il prépare sa vengeance contre Commode.
Le face-à-face final entre Commode et Maximus, avant la lutte à mort, dans le Colisée de Rome
Ce qui m’a intéressé dans ce thème de la vengeance est la façon dont le réalisateur, Ridley Scott, l’aborde. En fait, vengeance et mort sont deux thèmes qui cohabitent et sont étroitement liés pendant toute l’épopée tragique de Maximus. La mort est souvent suggérée, de façon plus ou moins explicite, par des séquences brèves qui jalonnent le film, où l’on voit Maximus caressant des blés qui se trouvent près de la porte du Royaume des Morts. Comme lui, nous sommes convaincus de sa droiture, et nous savons que ces blés sont ceux des Champs Élysées. D’ailleurs, comme il le rappelle juste avant la bataille au début du film, lorsqu’il harangue ainsi ses soldats : « Si vous vous retrouvez tout seul, chevauchant de verts pâturages, avec le soleil sur le visage, n’en soyez pas troublé, car vous êtes au Champs Élysées, et vous êtes déjà mort ! », la mort se crée à travers le film par différents procédés. On passe d’une image moquée cyniquement par le soldat qui refoule sa crainte d’être tué pendant la bataille à une mort abordée toujours par Maximus, mais à travers le thème du film de la vengeance. Le deuxième mouvement de la mort, dans Gladiator, passe par la quête de vengeance de Maximus, résolu à châtier Commode, le responsable de la mort de sa femme et de son fils. Lorsque Maximus gagne le public romain, et que l’empereur Commode lui demande de se présenter, Maximus, alors surnommé « l’Espagnol » par le peuple de Rome, lui décline sa véritable identité : « Mon nom est Maximus Desimus Meredius, commandant en chef des armées du Nord, général des légions Phoenix, serviteur du vrai empereur Marc-Aurèle, père d’un fils assassiné, époux d’une femme assassinée, et j’aurai ma vengeance. Dans cette vie. Ou dans l’autre. » Dès lors, le rapport à la mort change. Elle n’est plus tournée en dérision comme au début du film lors de la bataille face aux Germains, elle prend cette fois-ci la dimension d’une quête. Elle devient noire et au service d’une cause sinistre. Durant tout le film, Maximus ne craint pas la mort. Il croit en la droiture de sa vengeance, et en la renaissance dans le Royaume des Morts. La vengeance n’est pas pour lui un moyen d’atteindre une récompense, non. C’est un devoir de justice à rendre. Il a une attitude stoïque face à la mort. Il attend qu’elle vienne à sa rencontre à l’issue de sa vengeance. D’ailleurs, à la fin du film, lorsque Commode décide d’en finir avec lui et le provoque au combat dans l’arène du Colisée, l’échange glacial entre les deux principaux protagonistes en dit long sur leur sentiment de la mort :
« - Maximus, Maximus, ils te réclament. […]. Maintenant le peuple veut savoir comment elle se termine [l’histoire de Maximus]. Et quelle plus belle fin qu’une mort illustre, quoi de plus glorieux que de défier l’empereur lui même dans la grande arène ?
- Tu te battrais avec moi ?
- Pourquoi pas ? Tu crois que j’ai peur ?
- Je crois que tu as eu peur toute ta vie, altesse.
- Contrairement à Maximus l’invincible, qui ne connaît pas la peur ?
- J’ai connu un homme qui disait : la mort nous sourit à tous. Tout ce qu’on peut faire, c’est de lui sourire en retour. »
Les blés des Champs Elysées, que Maximus voit fréquement en rêve durant le film, et qui traduisent son entrée dans le Royaume des Morts
Tout le film nous fixe sur le rapport à la mort de ses personnages. Ici, on peut voir que Commode se défie de sa peur, mais qu’en réalité, il a peur de mourir. Maximus, lui, se doute de ce que peut coûter le meurtre de l’empereur, fût-il détesté du peuple romain. C’est pourquoi il se fait une idée plus moralisatrice de la mort. Il ne vit que pour se venger. La mort de Commode est censée permettre à Maximus de sentir le devoir accompli. La morale est sauvée, même si Maximus doit mourir après l’empereur pour l’avoir tué.
Dès le début du film, le parti pris de Ridley Scott sur l’issue de cette vengeance est clair. Maximus ne doit pas survivre à cette vengeance. Et sa mort constitue un intérêt tout particulier dans le thème de la vengeance. Certes, il tue Commode, mais comme il meurt lui aussi dans le même combat, il est intéressant de faire le bilan post-mortem de leur combat : Commode tué, provoque la liesse de la foule qui est enfin libérée de son joug et de son régime qui engendre la corruption parmi les sénateurs du sénat de Rome, et par là même la décadence qui règne dans Rome. Maximus, déjà adoré de la foule pour sa dextérité de gladiateur, n’est guère applaudi et pleuré par la foule. On a plutôt l’impression que les gradins se vident, après la liesse de la mort de Commode. Du moins, c’est la vision que donne Ridley Scott. En revanche, la scène récurrente de tout le film où l’on voit Maximus approcher de la porte du Royaume des Morts prend tout son sens dans la dernière scène : enfin, il franchit cette porte qu’il a tant imaginée dans ses rêves, enfin il s’est vengé de son ennemi juré, enfin il retrouve sa femme et son fils. Et voilà le beau dénouement que donne Ridley Scott à son film, quoique tragique. En effet, qu’aurait apporté à Maximus une victoire contre Commode ? Rien de plus que de s’être vengé. Sénèque avait coutume de déclarer à ceux qui cherchent la vengeance : « Il est préférable de guérir l’offense plutôt que de la venger. La vengeance prend beaucoup de temps, elle expose à bien des offenses. »
Gladiator : Le général qui devint un esclave, l'esclave qui devint gladiateur, le gladiateur qui défia l'Empire
Est-ce que cette dimension de morale à la vengeance constitue une évolution de la pensée occidentale ? Dans le cinéma standard américain, les héros qui ont besoin d’une vengeance se font justice eux-mêmes. Ils tuent leurs ennemis et le film s’arrête là-dessus, en nous faisant croire dans un épilogue souvent surfait que la vie reprendra son cours normalement ensuite pour le héros. Les Chinois ont aussi un proverbe sur la vengeance, ignoré d’Hollywood, visiblement, jusqu’à Gladiator : « Quand tu veux te venger, tu dois creuser deux tombes : une pour ton ennemi, et une autre pour toi ». Dans Gladiator, cette fin est subtile. La vie reprendra ses droits après la vengeance, mais dans l’au-delà. La vengeance doit avoir un idéal qui dépasse la violence. Dans le cas du film de Ridley Scott, la vengeance, la mort, ne sont qu’un tremplin vers le monde des Morts, une quête de l’éternité.
Gladiator, de Ridley Scott, 2000
Charles-Marie ROY