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Rythme étranger

 

Un bruit sourd légèrement familier ; puis un film projeté sur un mur dans lequel une personne court. Entièrement inscrit dans l’esthétique des années 70 : par son grain, par la luminosité particulière que lui confère la pellicule en 16mm, ainsi que par les tenues vestimentaires des différents coureurs. Créant tout un univers référentiel, au mouvement en photographie, comme chez Marey et Muybridge, ou aux courses-poursuites de cinéma.

Dans ce film, auquel Bruce Nauman donne d’ailleurs le titre Pursuit, ce sont donc des hommes et des femmes qui courent. Il semble exister un certain rapport logique entre le titre et l’action.                    Cependant au fur et à mesure que le film progresse, aucun de ces coureurs n’atteint le moindre but, tous s’activent inlassablement, jusqu'à l’épuisement, et leurs courses s’enchaînent sans fin les unes aux autres.

Peu à peu la question du pourquoi s’impose. Il ne paraît plus aussi évident de savoir la raison de leur course. Le titre n’apporte maintenant plus aucune réponse. Ces femmes et ces hommes ne courent plus parce que ils sont à la recherche de quelque chose, ou à sa poursuite, ni même parce qu’ils sont poursuivis. Bruce Nauman, en opérant ainsi, vide le sens de leur action, la connexion logique n’existe plus, il ne reste plus que le geste pour lui-même. Il s’intéresse à la condition humaine en ce qu’elle est le plus souvent : banale, répétitive et dénuée de sens. Nauman est proche de l’œuvre de Beckett, qui s’intéresse au non-sens des actions humaines.

Maintenant que ce film n’a plus un sens particulier et que seule l’action de ces hommes et de ces femmes compte, il ne s’agit plus que de contemplation esthétique. Les images nous submergent en s’enchaînant : plans de bras, de cuisses, de mollets, accompagnés de zoom sur une partie du corps ou de travelling ingénieux d’une partie à l’autre. Le bruit s’est précisé, c’est celui du frottement de la peau contre la peau, du vêtement contre le vêtement, ou encore celui de la respiration. Cette perfection dans la réalisation, grâce au travail de Frank Owen à la prise de vue et au montage, permet à Nauman de réduire ces corps qui courent à des parties d’eux-mêmes. Cette réduction faisant ainsi perdre le sens qui resté, celui de l’image. Il n’est plus évident de savoir ce qui est montré ou de comprendre ce qui doit être vu.

Le deuxième évidement de sens est ainsi réussi.

Selon moi c’est le dernier coureur qui concrétise ce caractère de contrainte dans lequel Bruce Nauman nous place. Il émet un souffle profond, saccadé mais régulier, les plans se concentrent d’abord sur l’ensemble du corps en sueur pour finir sur son visage avec une alternance de plans entre ses yeux et sa bouche. L’image devient inquiétante, angoissante mais avec tout le processus que Nauman a mis en place, la contemplation perdure ; il nous contraint à regarder jusqu’à arriver à une forme de jouissance.

Ce film montre les intérêts de Bruce Nauman pour le langage et sa structuration, pour la place et l’interpellation du spectateur ou encore pour le travail du corps comme médium. Ce sont des choses qui marquent la majeure partie des ses pièces. C’est un artiste contemporain majeur autant influencé par Marcel Duchamp que Man Ray ou Samuel Beckett.

 

Maximilien Duarté-Lourenço, L1 Humanités.

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