Le Malentendu
La solitude et l’enfermement d’une jeune fille. Martha n’a qu’un rêve : vivre enfin. Partir loin de ces terres sans horizon qui l’ont vu grandir. Rejoindre la mer, ces pays où le soleil brûle si fort qu’il mange jusqu’aux âmes et fait des corps resplendissants mais vides de l’intérieur.
La lassitude et la fatigue d’une mère, incapable de reconnaître son fils et qui, après avoir éduqué sa fille dans le crime, ne désire plus qu’une chose, se reposer enfin.
Un homme qui a vécu et aime sa femme. Un fils étranger. Après vingt ans d’absence, Jan, apprenant la mort de son père, mû par le devoir et par bienveillance envers sa mère et sa sœur, décide de retourner dans son Europe natale, pour faire leur bonheur.
Une femme, pleine d’angoisse et de passion, va devoir dormir seul.
Un vieux domestique, un piteux hôtel, une rivière glacée, la mort.
« Le Malentendu est certainement une pièce sombre. Elle a été écrite en 1943, au milieu d’un pays encerclé et occupé, loin de tout ce que j’aimais. Elle porte les couleurs de l’exil. Mais je ne crois pas qu’elle soit une pièce désespérante », explique Albert Camus dans la préface de sa pièce.
En effet, la pièce rend en quelque sorte la fatalité palpable. Dans le premier acte, de nombreux éléments nous laissent imaginer le dénouement, qui semble inévitable. Martha questionne sa mère sur le dernier client. Elle lui soutire les mots qu’elle hésite à prononcer, les assimilant aux actes. Ils se sont ritualisés au fil des ans. Selon la mère, il s’agit même d’une habitude : « mais l’habitude commence au second crime. Au premier, rien ne commence, c’est quelque chose qui finit ».
Cependant, si Camus affirme qu’il ne s’agit pas d’une pièce désespérante, c’est bien que le sort n’est pas fixé. La mère se contraint à agir autant qu’elle renâcle à évoquer l’acte. Suite au comportement très humain de Jan, Martha sombre également dans l’hésitation et perd de vue son rêve. Tout dépend de Jan, qui n’a qu’un mot à dire pour lever le malentendu : « c’est moi ».
Sa femme le presse de recourir à cette formule simple. Elle est contre sa façon d’agir : « comment ne serais-tu pas traité en étranger dans une maison où tu te présentes comme un étranger ? Non, non, tout cela n’est pas sain ».
C’est ce choix de Jan qui défait cette apparence de fatalité. C’est librement qu’il se présente en étranger ; il peut prendre le parti de la vérité à tout moment.
Avec Le Malentendu, Albert Camus a voulu élaborer une tragédie moderne, comme il l’a fait auparavant avec Caligula, et comme il le fera encore avec Les Justes. C’est une pièce charnière, qui s’inscrit dans le « cycle de l’absurde », mais annonce déjà celui de la « révolte ».
Il s’agit d’une œuvre grosse d’humanité, dans les dialogues purs de laquelle chaque mot est lourd de sens.
Anthony Le Devehat