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HOW DID THEY EVER MAKE A MOVIE OF LOLITA?
« Comment a-t-on osé faire un film sur Lolita ? », tel est le sous-titre de la version de Stanley Kubrick (1962), sous-titre laissant présager une critique virulente du film, qui, en effet, reprochait au cinéaste d'avoir "trahi l'œuvre de Nabokov" selon certains journalistes. Adrian Lyne a également osé, à ses risques et périls, en 1997, puisque le résultat ne fut qualifié que de "mauvais remake du chef-d'œuvre de Kubrick". Il a donc fallu une adaptation ratée pour que soit reconnu le film de Kubrick, lui-même adapté du roman de Nabokov (1955) qui faillit ne jamais sortir en raison de son sujet trop sulfureux.
Lolita, personnage éponyme de l’œuvre, de son vrai nom Dolorès Haze, est une « nymphette » -selon les termes employés par Nabokov- d’une quinzaine d’années qui rendra fou d’amour son beau-père Humbert Humbert, professeur de littérature française. Cet homme qui approche de ses quarante ans, cherche une chambre où passer l’été dans le New Hampshire. Il se présente alors chez une veuve, Charlotte Haze, qui succombe à son charme et lui propose de le loger. L’argument qui décide Humbert n’est pas la véranda, mais la jeune fille de Charlotte, Dolorès, aux regards aguicheurs et à la sensualité exacerbée (cf. photo). Ici commence l’histoire des amours passionnées entre Lo et Humbert.
Stanley Kubrick décide de retranscrire cette histoire à l’écran, en ne faisant non pas une plate copie du roman, à l’instar d’Adrian Lyne, mais en complétant le roman de Nabokov (avec qui il travaille sur le scénario). Ce film porte un regard satirique et grotesque sur la relation entre la nymphette et l’homme d’âge mûr, ainsi que sur la société américaine des années 80. De plus, la focalisation sur Clare Quilty (joué par le génial Peter Sellers) apporte son unité au film, puisque le personnage ne prend son importante qu’à la fin du roman ; Kubrick préfère explorer cet écrivain aux multiples facettes plutôt que se concentrer sur la personnalité de Humbert, ce qui semble un pari risqué. Tant d’ingéniosité donne envie à Adrian Lyne, quarante ans plus tard, de relever le défi de filmer Lolita. L’abominable 9 semaines et demi ne lui aura pas fait renoncé à cette plate copie du roman, qui ne fait que filmer, de manière plus ou moins appréciable, le roman, sans n’y rien apporter. On remarque cependant un effort de style dans la façon de filmer Clare Quilty (lors de la scène sur la terrasse de l’hôtel, notamment) où Lyne tente de rendre Quilty aussi effrayant que celui de Kubrick, en ne filmant que rarement son visage entouré d’une bonne dose de fumée. Abominable Quilty ! Seule la petite Dominique Swain (Lolita) donne un sens au film ; elle a approximativement le même âge que Dolorès et mérite d’être félicitée pour son jeu d’acteur. Malgré tout, Sue Lyon, chez Kubrick, reste indétrônable quant à son incarnation du désir et de l’érotisme, qui justifierait presque la passion d’Humbert.
La différence notable entre les deux films ce fait dès les premières minutes. Kubrick choisit de commencer par la fin en allant dans le sens du spectateur, jusqu’à montrer la mort de Clare Quilty, pour mieux brouiller les pistes ensuite, car tout le suspense est dans le fait que le spectateur connait la fin. Lyne utilise le même procédé : Humbert dans sa voiture avec un revolver et les mains tachées de sang, scène surplombée d’une petite musique hollywoodienne visant à inquiéter le spectateur, le drame est là mais rien n’est explicité. En bref, la couleur est annoncée, l’histoire sera présentée de façon manichéenne : la pauvre Dolorès passant des mains d’un Humbert perdu et possédé par la passion, à celles du grand méchant Quilty désireux de lui voler sa fille.
Censuré à sa sortie, le roman de Nabokov avait fait couler de l’encre, qualifiant certaines scènes de pornographiques ; il était donc impensable de les mettre dans le film. C’est ici que le géni de Kubrick se dévoile : tout est passé sous silence, mais le silence est explicite. Par exemple, la scène clé de la « première fois » est dédramatisée avec le gag du dépliage du lit, ainsi rien n’est montré, le spectateur se fait sa propre image du moment. Chez Lyne, à l’inverse, le spectateur a besoin d’être tenu en laisse et au cas où il ne comprendrait pas, tout est clairement dit et montré, comme les scènes incessantes de baisers fougueux entre Humbert et Dolorès, qui en deviennent gênantes, quoique les mœurs aient évolué depuis les années 60. La « scène du pied », bien connue dans le roman, se transforme chez Kubrick en une séance de vernissage des pieds de Lolita par son père, qui annihile le côté explicite ; scène qui dû paraître trop subtile à Lyne puisqu’il la montre de but en blanc.
Point de vue partagé par de nombreux spectateurs, comme le conclut l’un d’entre eux par cette simple phrase pourtant bien significative "Adrian Lyne fait subir au roman de Nabokov le même type d’outrage que ce crétin qui a endommagé le tableau de Monet au musée d’Orsay."
Lolita, Stanley Kubrick, 1962 avec James Mason, Sue Lyon, Peter Sellers
Lolita, Adrian Lyne, 1997 avec Jeremy Irons, Dominique Swain