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Jusqu’à quand résisterons-nous « encore et toujours à l’envahisseur » ?
Soumis par Fiona.Cohen le mar, 11/29/2011 - 10:53À l’instar d’un certain village gaulois dont les habitants refusent de céder aux attaques répétées des Romains qui pourtant les encerclent, la France semble ne pas vouloir se mettre totalement à l’heure américaine. Alors que certains de nos voisins, tels que l’Allemagne et l’Irlande, ont succombé à la musique country, notre pays s’est arrêté à l’adoption des chewing-gums, fast-foods et autres casquettes aux initiales de villes américaines. Les Français ont largement adopté le rock, le rap ou le R’n’B, que ce soit avec des artistes français ou étrangers. Alors, pourquoi un tel rejet de la musique country ?
Dans l’imaginaire collectif, la country (à prononcer «kaan-twi», pour être totalement dans l’ambiance) est souvent vue comme le genre musical américain par excellence, celui des cow-boys solitaires des grandes plaines mythiques états-uniennes. On les imagine, jouant du banjo sur leur cheval, un épi de blé à la bouche et un stetson sur la tête, ou dans un bar texan, les santiags aux pieds, louant Dieu et leur merveilleuse Amérique entre deux bières. D’ailleurs, le mot « country » ne veut-il pas dire « campagne » ou « pays », rappelant ses origines rurales et son lien intrinsèque avec l’Amérique en particulier ?
Il est vrai que l’image n’est pas totalement fausse. Quand on voit que Jason Aldean chante son Big Green Tractor (Gros tracteur vert), on peut en effet se poser quelques questions sur l’intérêt de certains sujets. Mais, encore une fois, le séréotype oublie bien des choses. Sans vouloir rentrer dans les détails de l’histoire d’un genre musical né il y a presque un siècle – certains sites internet le font si bien – la country est bien plus que la musique de prédilection des rednecks du sud des États-Unis, les Américains réactionnaires des stéréotypes, ultra-conservateurs issus des campagnes. L’Amérique, comme tout pays, est complexe et a une histoire très riche, empreinte de luttes raciales marquantes. Et c’est bien en ça que la country est plus complexe qu’on ne le pense : il a profité des apports du jazz, né dans les ghettos noirs du nord-est, du gospel et du blues, les genres musicaux spirituels nés de la foi d’esclaves chantant leurs peines et leurs espoirs. En se mêlant à la musique folklorique celte et au gospel des immigrants anglophones, toutes ces influences ont créé la country. La country ne voit pas en couleur, et Darius Rucker en est un bon exemple – courez écouter son duo avec la chanteuse britannique ADELE, une reprise de Need You Now de Lady Antebellum lors des CMT Awards de 2010 ! Ainsi, la country est la musique des immigrants, des cow-boys, des fermiers, d’une partie de ceux qui ont fait l’Amérique et elle a maintenant conquis toutes les régions des États fédérés, rurales ou industrialisées, pour toucher toutes les couches de la société et tous les âges. C’est la musique d’un pays fier de son histoire et qui n’a pas honte de clamer ce qu’il pense haut et fort, que ce soit en matière de religion, de politique ou même… de filles.
Dans le but de démystifier un genre musical qui semble bien loin de nos goûts actuels, une petite sélection de ceux qui font la country s’impose. Je ne parlerai pas ici des légendes ou autres Dolly Parton mais de quelques d’artistes qui ont un certain succès outre-Atlantique. Et pour entamer cette sélection, reparlons du thème des filles. Car, si la country est souvent vue comme un genre pompeux et moralisateur, des artistes se révèlent être plus légers et plus frais. Ainsi, Keith Urban peut être présenté comme un des chouchous incontestés du public américain. L’Australien, que vous pouvez connaître par son mariage avec l’actrice Nicole Kidman (sait-on jamais, peut-être lisez-vous les magazines peoples), est connu pour ses talents de guitaristes qui en font un excellent artiste live, assurant le spectacle et animant des hordes de fans. Ses chansons, à l’image de Kiss a Girl ou Put You in a Song, parlent de femmes et de la bonne manière de les traiter, tout en douceur et en romantisme. Il parle d’amour, d’une manière fraîche et décomplexée et quand il entonne Everybody en concert, on peut être certain que tout le public, et plus particulièrement les femmes chantent « everybody needs somebody sometimes » (tout le monde a besoin de quelqu’un, à un moment ou à un autre) avec la main sur le cœur. Keith Urban représente le côté sexy de la country, bien loin des vieux cowboys des stéréotypes.
De la même façon, on ne peut parler de la country actuelle sans parler de Taylor Swift. La jeune fille de bientôt vingt-deux ans est au sommet. En trois album, elle a tout gagné, et ce plusieurs fois. Ses tournées affichent complet, elle se permet même d’inviter d’autres artistes (Usher, Jason Mraz, son idole Tim McGraw, Hayley Williams, B.o.B et tant d’autres) à la rejoindre sur scène pour une date ou deux. Taylor Swift, c’est une des artistes les plus puissantes de l’industrie du disque américaine. En cinq ans, elle a vendu plus de vingt millions d’albums et trente-cinq millions de singles et, cette année, le magazine Forbes la classe 7ème artiste la plus puissante au monde, avec quarante-cinq millions de dollars de revenus. Bien qu’elle soit souvent critiquée pour ses textes « trop adolescents » ou pour sa country teintée « trop pop », on ne peut lui nier le talent de toucher les foules. La grande blonde est connue pour des textes dans lesquels elle règle ses comptes avec d’ex petits-copains, anonymes ou célèbres (John Mayer, dans Dear John), s’excusant aussi, parfois (dans Back to December, adressée à Taylor Lautner). Elle y parle de ses envies, de ses rêves, de ses combats, souvent avec humour et sarcasme, comme dans Mean où elle répond à ses détracteurs par « un jour, je serai quelqu’un et vous ne pourrez plus m’atteindre, vous serez juste froids et cyniques » et « tu es juste méchant, menteur, pathétique et seul dans la vie ». Malgré les critiques, Taytay, comme l’appellent ses fans, continue de grandir et la profession, pour la deuxième fois, lui a décerné le prix d’Artiste live de l’année lors des Country Music Association Awards, un prix remis à l’artiste qui représente le mieux la country sur scène. Et avec une tournée mondiale à guichets fermés, Taylor Swift est certainement de ceux qui font le plus pour l’image de la country, aux États-Unis et à l’étranger.
Taylor Swift en concert à Ford Field, Détroit, États-Unis, 11 juin 2011
Malgré toutes les réticences des Français à écouter de la country, nous avons quand même été infiltrés. En effet, le groupe qui interprète le tubeNeed You Now est un groupe de country. Lady Antebellum, un trio venu de Nashville, Tennessee, le fief mythique de la country, a entamé sa carrière en 2006 et n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis lors. Grâce à l’aide d’artistes plus confirmés qui leur ont offert des premières parties (telle que Martina McBride), Hillary Scott, Charles Kelley et Dave Haywood ont gagné en visibilité et donc en public. En trois ans, ils ont gagné une trentaine de récompenses dont celle de la révélation de l’année 2008 aux CMA Awards et plus d’une dizaine pour le single Need You Now. En 2010, ils se lancent à la conquête de l’Europe et réussissent à envahir les ondes radio. Cependant, si l’on ne sait pas que Lady Antebellum fait de la country, c’est bien parce que, justement, le single qui les a lancé en dehors de leurs frontières est très différent de leurs titres American Honey ou Perfect Day, très marqués country. De plus, les paroles de leur single Need You Now s’éloignent un peu du puritanisme américain, car le trio chante « un autre shot de whiskey » ou encore « il est une heure et quart et je suis un peu bourré ». Mais justement, c’est aussi ça la country ! Des paroles plus subversives qu’on veut bien le croire, qui chantent les valeurs américaines mais aussi la réalité. Évidemment, ici, Lady Antebellum a réussi un beau coup marketing, s’implantant là où on ne l’attendait pas, grâce à une adaptation de leur style au marché visé, rappelant le succès que la canadienne Shania Twain a pu avoir à la fin des années quatre-vingt-dix, restant princesse de la country en Amérique et s’imposant comme une valeur sûre de la scène pop/rock internationale. C’est pourquoi je vous encourage à aller découvrir leurs autres chansons, pleines d’énergie et de peps.
Avec ces trois exemples, on peut voir que la country est un genre musical aux multiples facettes, comme tant d’autres. Mais au contraire du rock, la country n’a jamais été associée à une quelconque rébellion. Non, c’est le son de la tradition, des honnêtes gens et des rêveurs. Comme le disait Harlan Howard, un célèbre auteur-compositeur, « la country, c’est trois accords et la vérité. » Le genre musical est représenté depuis des décennies par des artistes qui, avec guitares, banjos et violons, chantent l’Amérique, ses valeurs (le travail, la foi, la famille, les amis), l’amour, la vie. Certaines chansons peuvent faire sourire, comme Toes de Zac Brown Band ou Good Directions et Good at Drinkin’ Beer (a-t-on vraiment besoin d’une traduction ?) de Billy Currington car les sujets sont légers : le soleil, les filles, l’alcool, s’amuser. D’autres titres, en revanche, sont plus profonds : Free et Colder Weather de Zac Brown Band ou Jesus take the Wheel de Carrie Underwood, des chansons plus contemplatives ou plus sérieuses, racontant les difficultés de la vie, les combats quotidiens et les douleurs.
Il faut ajouter que les artistes de country forment une grande famille, réellement soudée. Les différentes cérémonies de remises de prix sont l’occasion de voir la complicité de certains et le respect que les artistes ont les uns pour les autres. Cette famille permet d’avancer dans le milieu, grâce à l’aide des plus anciens qui prennent de jeunes talents sous leur aile, comme on a pu le voir avec Lady A. et comme cela a pu être le cas pour Taylor Swift. C’est aussi ça que les Américains recherchent dans la country, une certaine idée de l’Amérique, soudée et fière.
Alors, pourquoi la country n’arrive-t-elle pas à percer en France ? Certes, la danse country connaît un certain succès. Des milliers de gens se réunissent en associations ou clubs, souvent dans des villages ou dans des petites villes, pour danser en ligne sur des sons qui rappellent une culture bien éloignée de la nôtre. Cela créé du lien social et permet de s'évader, le temps d'une soirée. Mais cette approche de la country rejoint les stéréotypes : un cadre souvent rural, une image finalement assez vieillotte de la country, bien loin de l'actualité du genre. Surtout, cette pratique se résume à la danse et ne permet pas une véritable importation d'artistes de country Américains ou anglophones. En fait, on semble avoir pris le fun de la danse, la convivialité, sans adhérer complètement à la musique. Le genre musical ne semble pas trouver sa place dans notre pays car il ne fait pas écho à notre histoire, à nos valeurs. La religion et la morale américaine semblent bien trop présentes pour notre goût de libéraux laïcs convaincus (quand on force le trait) et, si les grands espaces américains font rêver, ils restent typiquement américains. Nous ne nous voyons simplement pas chanter à la gloire d’un pays qu’on critique si souvent. La country est un genre très diversifié qui offre bien plus que ce qu’on s’imagine, mais ses racines proprement américaines en font un genre difficile à exporter dans un pays comme le nôtre, fier de sa propre culture. Cependant, si la France entière n’est pas prête à écouter les Dixie Chicks et Rodney Atkins, peut-être que certains Gaulois pourraient les ajouter à leur liste de lecture…