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Lizard, ou quand le jazz et le rock se mêlent dans une parade bariolée…

 

 

 

 

King Crimson est considéré comme l’un des initiateurs du rock progressif, un genre musical caractérisé par une recherche d’élaboration sonore, d’une structure plus ouverte, libre, qui tend à se rapprocher de la subtilité de la musique classique tout en gardant l’esprit du rock, avec ses sonorités saturées. King Crimson est un groupe en perpétuelle mutation, tant au niveau de son effectif que de son style. Seul Robert Fripp, le guitariste, en est le membre permanent, apportant avec lui sa démarche progressive. Musicalement, le groupe est en constante évolution, renouvelant à chaque album sa matière sonore, côtoyant le jazz, le folk et le classique ; jusqu’à ce qu’après 6 ans d’arrêt, Fripp reforme un nouveau groupe toujours sous le même nom, en lui imprimant une esthétique proche du métal, avec rythmiques puissantes et guitares hurlantes. Une tendance qui, autant que celle du jazz, pouvait déjà se déceler dans l’affection de Fripp pour les solos de guitare écorchée vive.

 

           Pour son troisième album, King Crimson est allé puiser son matériau sonore dans les contrées du jazz. Le fameux groupe de rock progressif nous avait déjà habitué à une élaboration musicale très poussée, tant au niveau de la souplesse de la structure, de la finesse de l’instrumentation, que de la poésie des textes. Lizard, lui, incarne l’aboutissement de cette recherche qui s’accomplit dans une fusion du rock avec le jazz. En effet, l’effectif crimsonien initial (guitare, basse, batterie, flûte traversière) se grossit d’une section de cuivres dont le timbre et les accents jazzy apportent une nouvelle dimension, plus orchestrale, aux développements mélodiques ; permettant un jeu sur les couleurs instrumentales et des dialogues traditionnellement associés à la musique classique. Par ailleurs, l’omniprésence du mellotron (sorte de synthétiseur) soutient toute l’originalité de l’ambiance par ses sonorités fantasmagoriques.

L’album s’ouvre sur un Cirkus inquiétant, peut-être le morceau le plus remarquable de l’album, où l’instrumentation raffinée concourt au tissage d’une toile sonore aux motifs complexes. Un chef d’œuvre où plane le souffle menaçant d’un mellotron, comme l’appel d’une corne de brume. Le jeu de guitare de Fripp y est remarquable, sonnant  comme un clavecin furieux possédé par le rythme d’un blues endiablé. Des paroles éblouissantes peignent la vision délirante d’un cirque traversé de troupeaux de zèbres, de clowns qui se fondent en horloge sous le regard affamé des lions, de géants en cages et d’une foule d’éléments surréalistes tourbillonnant sous le regard interdit d’un homme précipité dans cette parade désarticulée.

Toutefois, la poétique crimsonienne est en rupture avec celle de ses albums précédents. Peter Sinfield délaisse la douceur rêveuse de ses images comme on pouvait la retrouver dans son sublime Moonchild, contant l’existence enchantée d’une enfant de la lune, pour un univers plus décalé, plus pétillant de délire, reflétant un monde en délitement que le parolier traite avec ironie. A l’exception de The lady of the dancing water, ballade planante - la seule de Lizard -  où le jeu d’une flûte traversière enlace délicatement le chant, dessinant l’apparition intense et fugitive de la femme des eaux dansantes. A noter que la qualité des textes et la puissance évocatrice de leur prose restent toujours aussi admirables

On ne peut manquer d’évoquer, par ailleurs, Lizard, la pièce centrale de l’album marquant par sa structure finement ouvragée et son instrumentation d’envergure orchestrale, qui n’a rien à envier à la musique classique. Au long de ce morceau de vingt-trois minutes on parcourt un univers sonore encore inexploré, condensant jazz, rock, classique, folk. Une trompette s’éveille sur un boléro qu’un piano impressionniste colore de ses notes virtuoses ; puis une clarinette décolle, suivie d’une flûte traversière, décrivant des arabesques mélancoliques, jusqu’à ce que de la section des cuivres commencent à fuser des rythmes syncopés, que le boléro devienne jazz dans une exultation sonore, éclatante, pour, doucement, s’amenuiser pour se diluer dans la larme d’une flûte traversière. La deuxième partie, consacrant l’union du rock et du jazz, est tout simplement époustouflante. La guitare de Fripp se distord, les cuivres scandent des motifs rythmiques entêtants, le mellotron mugit ; jusqu’à ce qu’au sommet de la tension, la musique se désagrège dans une valse lointaine et détournée.

Lizard est un album aux timbres chamarrés, au style surprenant et novateur que l’on se plaît à réécouter inlassablement pour découvrir à chaque fois des subtilités nouvelles, des lignes instrumentales inattendues, un timbre original. Ainsi, en unissant la recherche de la musique classique, la complexité rythmique du jazz, l’originalité du soliste blues et les dissonances saturées du rock, Lizard mérite bien une place dans l’histoire de la musique.

 

Gabriel Vogel L1 humanités

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