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nov.
10

Gordon Zola, expert en littérature humoristique

Ecrivain à l’imagination fantasque et pleine de verve, Gordon Zola, de son vrai nom Erick Mogis, est l’auteur de nombreux romans mêlant parodies et calembours, et le fondateur de la première maison d’édition spécialisée en littérature humoristique, les éditions du Léopard Masqué. Il a également rédigé, pour les éditions First, l’ouvrage L’Humour pour les nuls paru en 2010.
 
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LICENCE HUMANITES ― Quand avez-vous commencé à écrire et à vouloir vivre de votre plume ?
GORDON ZOLA ― Très tard. Vers l’âge de quarante ans. Un profond respect pour la littérature m’avait écarté de toute tentative. Ce fut la perspective de devenir éditeur et d’inventer mon travail qui me mit l’eau à la bouche, notamment en choisissant l’édition de romans humoristiques, genre peu prisé chez nous ― en apparence.
Quant à vouloir vivre de sa plume… c’est antinomique. C’est un « métier » où vouloir ne suffit pas.
Quelle place réservez-vous à l’écriture dans vos journées ? Avez-vous des moments favoris pour écrire, des habitudes particulières ?
Je n’ai aucune marotte du style : « Je ne peux écrire qu’à la lueur d’une bougie, avec un stylo à l’encre bleue que je recharge moi-même sur un cahier à grands carreaux qui sent la violette et le vieux bois. » Je commence à écrire le matin à mon bureau, où je gère les éditions du Léopard Masqué et celles du Léopard Démasqué, et j’avance… Ce double travail m’a appris à savoir écrire en pointillé. Plus c’est calme, plus j’avance vite, mais je fais avec.
Le Léopard Masqué, c’est un drôle de nom pour une maison d’édition ! Est-ce que ce nom renvoie à quelque chose de particulier pour vous ? Et pourquoi dirigez-vous deux maisons d’éditions différentes ?
Le léopard renvoie à mes origines vikings… Il est l’emblème des ducs de Normandie… Y mettre un masque était plus sûr pour avancer dans la jungle cruelle de l’édition.
Quant aux éditionsdu Léopard Démasqué, elles publient spécifiquement la série des Saint-Tin. Je les ai créées pour une raison purement technique : parce que mon distributeur, Volumen, ne voulait pas, à l’époque de la signature, distribuer autre chose que cette série, et qu’un éditeur ne peut avoir deux distributeurs. Mais par la suite, le succès aidant, Volumen a finalement accepté d’élargir la diffusion au reste de mes ouvrages. De sorte que le Léopard Masqué risque de disparaître au profit du Démasqué.
Pour quel public écrivez-vous ?
Tous les publics, y compris les autres. Mes lecteurs vont de 11 à 111 ans, dans des proportions qu’il reste à définir.
Vous publiez trois à quatre romans par an, voire plus : six pour la seule année 2011 ! Comment parvenez-vous à soutenir un tel rythme ? Et la vitesse joue-t-elle un rôle dans l’écriture de vos récits ?
Plus vous travaillez, plus vous avez l’impression que les choses sont faisables, réalisables. Moins vous vous noyez dans un verre d’eau. Pour ma part, étant éditeur et devant produire pour vivre, je suis contraint à ne jamais m’arrêter. J’écris 365 jours par an, ce qui explique la cadence infernale. Mais un tel rythme n’est rien face à celui de Balzac, Dumas ou Simenon (la différence, c’est qu’eux sont géniaux)… J’ai même parfois la sensation de ne pas écrire assez…
Ce n’est pas la vitesse qui est importante, c’est le rythme. Quant à la pression, c’est un moteur puissant.
Vous puisez une grande part de votre inspiration dans l’actualité immédiate. Vos livres pourront-ils encore être lus dans… ne serait-ce que dix ans ? Quel avenir voyez-vous pour vos ouvrages ?
Si cet axiome était vrai, Balzac, qui voulait concurrencer l’état civil du XIXème siècle, n’existerait plus. Pas plus que Zola, qui se voulait un témoin de son temps.
Je crois que la question ne se pose pas en ces termes. On écrit avec ses tripes, sa tête et ses convictions. Si la postérité courte ou longue arrive, ce n’est pas de votre fait. Tous les deux ou trois mois, je sors un livre, et je réfléchis pour l’avenir. Je ne pense plus aux anciens. C’est un peu comme pour l’écriture de la parodie. Une bonne parodie doit tenir sans son référent ; sinon, cela veut dire que le livre est bancal. Un effet de mode ne peut pas faire un auteur. Et puis, qu’on ne lise plus Qui veut la peau de Marc Levy ? dans dix ans ne me gêne pas, si on continue de lire mes nouveaux livres.         
Avez-vous pensé, parfois, à travailler comme journaliste satirique ? Dans un journal, par exemple, comme Le Canard enchaîné, où vos calembours feraient merveille ! Ou comme chansonnier ?
Non. Pas le temps. C’est une presse que je n’apprécie pas, du reste.
Chansonnier, c’est un autre travail. Mon ami Pascal Fioretto, excellent écrivain, écrit la matinale de Laurent Gerra. Il gagne bien sa vie, mais il ne peut plus écrire. L’œuvre ou l’argent ?
Quel regard portez-vous sur le monde dans lequel nous vivons ?
Un monde de fous, comme il a toujours été. Pour changer les choses, il faudrait faire trois actions : abolir la supra information, dézinguer la CIA, et lire plus de Gordon Zola.
Vous aimez aussi greffer vos textes sur des textes préexistants et jouer avec tout un fond culturel – mythologique, littéraire, historique... Quelles études avez-vous faites ? Quelle importance accordez-vous à la culture ?
Je suis un autodidacte pur. Aucune étude, mais une curiosité insatiable, qui a nourri mon imaginaire. La culture est tout ! La vraie culture, celle qui s’affranchit des dogmes et des arrière-pensées mesquines. Il faut savoir le plus de choses possibles, et vivre le plus de choses possibles, pour pouvoir écrire.
Bernard Werber m’a dit un jour : « Pour Albin Michel, j’écris des livres qui doivent être traduisibles en vingt-cinq langues et compris dans tous les pays. » Pauvre garçon. Là encore, l’argent entraîne l’appauvrissement des esprits. Aucune écriture idiomatique n’est donc considérée. C’est l’ère du sujet/verbe/complément… ou compliment, selon l’auteur.
 
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Vous avez entrepris, entre autres, de pasticher la série des Tintin – album après album. En quoi l’œuvre d’Hergé est-elle pour vous particulièrement stimulante ?
J’avais installé une grille d’écriture particulière sur le polar humoristique et le roman « historico-déconnant ». Je voulais l’accoler à une œuvre entière. Tintin était un bon choix car c’est une œuvre achevée, pleine et entière. En tant que romancier, cela permettait de rendre hommage à la BD qui m’a nourri et qui est devenu un art majeur. De plus, Tintin est intemporel et use avec brio de tous les clichés de l’aventure… Idéal à parodier. Idem pour les personnages, si bien calibrés.
Certaines des aventures de Saint-Tin et son ami Lou sont rédigées non par vous mais par Pauline Bonnefoi. Qui est cet auteur ? Et le fait qu’une autre personne puisse écrire à votre place – se substituer à vous pour l’écriture de certains livres – ne vous gêne-t-il pas ? Pour vous, l’écrivain est-il un auteur totalement interchangeable ?
Attention, la question est mal posée. Au départ, le concept de Saint-Tin devait être : « un auteur, un roman ». J’avais proposé à Derec d’y participer ; à Albert Algoud, à Jean Teulé, à Patrice Dard, etc. Mais la sauce ne prenait pas. J’ai donc commencé avec une équipe de « déconneurs » : Bob Garcia, Hervé et Pauline Bonnefoi. Aujourd’hui, je le regrette. J’aurais dû faire l’intégral, seul. Sur vingt-cinq, j’en aurais écrit vingt ! Pas très cohérent. Mais c’est aussi une aventure éditoriale hors du commun.
Donc, cette incidence-là n’implique pas la notion d’auteur interchangeable. Tout est une question de livres et de point de vue… Un véritable écrivain est quelqu’un qui possède un univers personnel et qui n’est pas reproductible. Vous pensez vraiment que les livres de Marc Levy, Musso ou Gavalda ne pourraient pas être écrits par d’autres ? Par de bons faiseurs ? Bien sûr que si. Ce sont juste des constructions éditoriales et commerciales, dans lesquelles les « nègres » ont la part belle. En revanche, reproduire Proust, Céline, Albert Cohen, Michel Audiard ou Goscinny, c’est une autre paire de manche.
Quels enjeux juridiques étaient liés au différend qui vous a opposé aux ayant droits d’Hergé ?
Cela a commencé avec le cinquième opus, Saint-Tin au gibet. Une descente de police avec confiscation des stocks et des fichiers informatiques. J’étais attaqué pour contrefaçon, parasitisme, adaptation littéraire et plagiat. Trois de ces chefs d’inculpation sont tombés et j’ai été condamné pour parasitisme (55 000 euros de dommages et intérêts). J’ai fait appel, et il m’a fallu dix-huit mois de lutte acharnée pour gagner mon droit à la parodie ― avec trois points de jurisprudence dans la loi. La série est sauvée. Une belle aventure qui a dépassé le cadre de la création. Les procès sont très formateurs pour un éditeur. Soudainement, votre travail est légitimé (quand vous gagnez, of course).
Pourquoi aimez-vous tant la parodie ? Et qu’est-ce qu’une parodie réussie pour vous ?
Je crois (je suis provocateur) que la littérature est morte ! Les auteurs ne font que se répéter. Seules les contraintes peuvent pousser les écrivains à se surpasser et à inventer. C’était le cas de l’OuLiPo avec Queneau, Vian ou Perec… C’est un point de vue. Je me suis donc mis comme contraintes : style propre/humour/détournement des codes. La parodie est une contrainte supplémentaire… Pour qu’elle soit réussie, elle doit être appréciée par le lecteur, même si celui-ci ne connaît pas le référent.
Quels sont vos projets pour les années à venir ?
Heu… écrire…
2013 : achever les huit derniers Saint-Tin
Continuer la série policière des Guillaume Suitaume : Doigt light ; Le Père Denoël est-il une ordure ? ; Les Tatas flingueurs ; Haïti téléphone maison ; L’Ibis dans un violon
Continuer les romans « historico-déconnants » : Le Cathare enchaîné, Le Vaseux de Soissons etc.
Faire quelques romans « Jeunesse »…
Et amorcer une nouvelle collection : « La comédie y mène… » ― où toute une galerie de personnages contemporains reviendraient, de romans en romans, autour de sujets de notre quotidien.
J’ai un projet aussi sur les super héros américains.
Et puis, je trouverai bien autre chose à faire les jours impairs.     
Quels conseils donneriez-vous à un jeune étudiant en lettres désireux de devenir écrivain ?
Lisez beaucoup, beaucoup, beaucoup, et des grands textes, des grands auteurs. Une lecture éclectique est essentielle. Des auteurs de gauche, de droite, des saints, des pestiférés… Il faut ingérer ce qu’ont fait les autres pour ne pas croire qu’on réinvente la roue. Il faut manger les styles, se gaver de mots… L’écriture, c’est la lecture !
Et demandez-vous : qu’est-ce qu’un écrivain ? Ecrire par urgence, par nécessité, oui… Ecrire pour être publié, c’est autre chose… Van Gogh ne peignait pas pour être vendu 800 millions d’euros.
En ce qui concerne les conseils plus techniques… je crois que le talent n’a besoin de personne pour trouver sa voie.
 
Propos recueillis par des étudiants en L1 Humanités
 
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Quelques titres de Gordon Zola
 
 
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Editions du Léopard Masqué*
90, rue Daguerre, 75014 Paris
 
* Le site des éditionsdu Léopard Démasqué est le même que celui des éditions du Léopard Masqué.
 
 

 

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