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Bartabas ou le théâtre équestre
BARTABAS
Pour ceux qui ne connaissent pas, Bartabas est le nom un peu sorcier d’un magicien. Enfin, c’est une façon de parler. Pour être plus exacte son travail est tellement bien fini que le spectacle en est presque magique. Cet homme au nom barbare est dresseur de chevaux. On peut donc supposer qu’il s’agit de représentations équestres. Oui, mais non, parce que ce qui fait la différence véritablement de Bartabas c’est le mélange des genres. La musique, le théâtre, le chant, les chevaux, la danse et même la lumière, sont tous les ingrédients nécessaires au théâtre équestre. C’est donc un spectacle unique et merveilleux qui attend le spectateur au théâtre équestre Zingaro au Fort d’Aubervilliers. Tout ce travail que l’on imagine bien évidemment colossal prend beaucoup de temps, ce qui explique qu’il n’y ait qu’un spectacle par an.
Je suis allée au spectacle de cette année. Il faut savoir qu’à chaque fois, c’est un thème différent, qui peut être à cents lieues du précédent. Mais il semble tout de même se dessiner un certain fil rouge : les mœurs et traditions des hommes tout autour de la planète. En cette année 2012 le thème est la fête des morts au Mexique, et le spectacle est intitulé Calacas. Je vous ai dit que la représentation est particulièrement bien rodée, mais en fait tout est bien pensé. Depuis l’entrée. Une fois que vous avez validé votre place auprès de la guichetière, on vous envoie dans une sorte de salle d’attente. Mais attention, ce n’est pas la même que celle du dentiste, n’est-ce pas ! Non, celle-ci est tout à fait dans la continuité de l’esprit Bartabas. La porte d’entrée est doublée d’épais et lourds tissus. Un peu comme si l’on rentrait dans un autre monde. Et je dois avouer que c’est un peu le cas. Il y règne une ambiance chaleureuse et une bonne odeur. Tout ceci n’est pas dû au hasard : la pièce est circulaire, assez grande mais cependant intimiste grâce à la multitude de costumes, tissus, photos géantes, accessoires plus ou moins petits, mais surtout elle est en bois. Au sol il y tout pleins de grands tapis style orientaux. Et pour la bonne odeur, le mérite revient au petit coin restaurant. Je vous disais que les accessoires étaient plus ou moins petits tout simplement parce qu’il y a des chars, voitures et autres engins du même style suspendus à la charpente. Tout est fait pour en mettre plein la vue au spectateur pendant qu’il attend l’ouverture.
Une fois l’heure fatidique arrivée, nous sommes emmenés dans un autre bâtiment. Encore une fois, tout est décalé même dehors, les excentricités vont du feu de joie à l’imposant éléphant en fer qui brille de l’intérieur. En haut des marches de bâtiment, se trouve un homme costumé en une sorte de portier, qui beugle sur les spectateurs. L’effet est plutôt amusant. Une fois à l’intérieur de ce bâtiment, tout de bois vêtu également, le côté intimiste présent plus tôt dans la soirée se fait de nouveau sentir. A tous les sens du terme. En effet, il fait très sombre et nous sommes saisis de la même réaction en entrant : « Mais qu’elle est cette drôle d’odeur ? » Pas très futés les spectateurs, nous passons au-dessus de chevaux, que nous pouvons d’ailleurs voir à travers les planches ajournées. Et, ah oui, je vous laisse deviner pour l’odeur ! Soudain sous mes pieds les planches de bois disparaissent, pour laisser la place à du sable. Je vous l’ai dit, avec Bartabas, on est étonné en permanence.
Enfin nous découvrons la salle, ou plutôt l’espace. C’est petit et circulaire, encore le côté intimiste sans doute. Tout est simple et en même temps tellement sophistiqué que le spectateur est chamboulé dans ses impressions. Je vais vous décrire ce que l’on ressent à cet instant. Tout d’abord, n’oubliez pas que nous marchons sur du sable, il y a beaucoup d’obscurité, le niveau sonore est bas. Vous cherchez donc votre place réservée, et vous descendez les quelques marches de ce cercle. Vous trouvez, et découvrez avec quand même un peu d’hébétude que les marches constituent les fauteuils, et que les places sont matérialisées par de fins coussins. Une fois assis, vous découvrez la salle en elle-même. Vos yeux s’arrêtent sur les merveilleux panneaux en bois sculptés qui entourent l’arène. D’un seul coup, votre nez vous ramène à la réalité, vous entendez un bruit étrange et vous percevez du mouvement sur le sable central de l’arène, et là savez qu’il y a des animaux un peu réveillés par l’entrée de tout ce monde. Et plus ça s’agite sur le sable, plus votre curiosité grandit, mêlée quand même un peu à de la crainte, il faut dire qu’il n’y que sept marches-escaliers, et vous êtes indubitablement très proche de ces animaux mystérieux.
Tout à coup, les lumières s’allument doucement, vous voyez que les panneaux de bois qui entourent la salle sont fermés. Le spectacle commence. Dans l’arène des petits squelettes s’animent sur un début de musique mexicaine, au passage vous avez découvert que les animaux mystères sont des dindons, vous voilà rassurés.
Et c’est parti pour un spectacle merveilleux que vous n’êtes pas près d’oublier. Les scènes se succèdent en douceur, et créent une diversité étonnante. Les musiciens mexicains laissent la place à des hommes-squelettes volants, qui eux-mêmes laissent le champ libre à deux ennemis qui se tirent dessus à coup de pistolet et montés sur des chevaux lancés au galop. Je dois vous préciser qu’il y deux scènes, une au centre de l’arène, l’autre est derrière les spectateurs et forme un anneau autour de l’arène (souvenez-vous du sable qui mène aux marches). Très schématiquement, cela fait un anneau de sable, un anneau de marches et un cercle de sable. Les deux personnages qui se poursuivent au galop passent dans le dos des spectateurs. La beauté du spectacle vient pour beaucoup, en plus d’une écriture magnifique, des lumières. La scène externe est encadrée par les panneaux en bois d’un côté qui protègent les spectateurs, et par une toile de l’autre côté. Cette toile est éclairée avec des lumières tamisées, dégradées et variées. Les couleurs sont très poétiques, et l’effet est d’autant plus beau que les panneaux en bois sont sculptés et ajourés.
Les numéros s’enchaînent de la sorte pendant environ deux heures trente. La grande fluidité du spectacle vient également du fait que les membres de la troupe chargés d’évacuer et de faire entrer les chevaux, sont très discrets. Même pendant les numéros aucun ordre ne fuse, tout respire le respect de l’autre et de l’animal, la symbiose des genres. Bartabas réussit des choses difficiles en tant normal avec les chevaux, notamment à les faire s’allonger, marcher comme s’ils étaient souls, et montés sur une toute petite surface ronde.
Une fois le spectacle terminé, les yeux illuminés par les choses sublimes que nous avons vues, nous sortons. Et c’est tout naturellement, et toujours dans cet esprit de simplicité que les membres de la troupe nous proposent dehors de rester un moment avec eux autour du feu de joie.