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La joueuse de tympanon

 

 

Nous sommes en Allemagne, dans les années 1780.  David Roentgen, ébéniste allemand de renom, revient tout juste de la cour du Roi de France, où il a déjà fait plusieurs voyages, car la finesse de son art y est appréciée, et d’où il rapporte, cette fois, une mèche de cheveux qu’il a demandé humblement à Marie-Antoinette, pour un projet qu'il veut tenir secret.

A peine est-il revenu dans son pays qu’ il met en branle une guilde impressionnante de maîtres de métier: des denteliers, des horlogers, des musiciens... On raconte que jusqu'à vingt -six corps de métiers s'activent à la fabrication de cet ouvrage mystérieux. On les voit amener de toute l'Allemagne leurs précieuses réalisations.

Puis, un jour, Peter Kintzing, horloger méticuleux, vient rejoindre David et s’enfermer avec lui dans son atelier de Coblence. On entend parfois, en passant devant de la bâtisse, quelques notes de musiques s’envoler par les fenêtres. Des notes qui évoquent une musique royale. Cela dure toute une année. Jusqu’au moment où ils en ressortent, suivis d’une farandole de petites boîtes en bois, solidement cadenassées et transportées avec d'infimes précautions.

Leur destination se fait alors peu à peu connaître: ils cheminent vers la cour de France.

Celle-ci, en cet hiver 1784, s'ennuie ferme. Elle tourne en rond, recluse à Versailles où elle redoute le peuple. Aussi accueille-t-elle les deux visiteurs allemands à bras ouverts. Cependant,  durant plusieurs jours, il lui faut attendre et prendre patience. C’est que les deux hommes s'affairent à réassembler les parties de leur ouvrage.

Enfin vient le grand jour. On organise le soir une petite réception dans la Galerie des Glaces, dans le but d'animer la cour. David Roentgen  et Peter Kintzing, malgré les habits luxueux qu'on leur a fournis, font assez pâle figure aux côtés des courtisans français aux joues gonflées et aux ventres rebondis. Tous entourent, intrigués, une petite table où se trouve, dissimulé sous un voile, l’objet mystérieux. Quand le voile est levé, le mystère se dissipe. Il s’agit d’une petite figurine qui ressemble à s'y méprendre à la reine de France, et qui trône, interrogative, sur une chaise construite par David lui-même, devant un tympanon.

David insère doucement une clé dans un petit orifice à l’arrière de la poupée. Il la fait tourner doucement. Aux oreilles incrédules de la cour se fait alors entendre un son légèrement grinçant. Puis, quelques cliquetis plus tard, les courtisans, ébahis, voit la poupée relever la tête, et, de ses bras animés par l'âme mécanique et les rouages complexes qui composent son cœur, se mettre  à frapper en rythme une mélodie. Le regard de la poupée suit les petits marteaux qu’elle tient dans ses mains et qui frappent doucement les cordes d'acier. L'illusion est totale. Les vêtements bordés de dentelle, les cheveux de la poupée, semblables à ceux de la Reine, le soin apporté à la marqueterie du tympanon : tout participe à l'impression saisissante que l’on a ramené de quelque tribu lilliputienne une copie conforme de la reine de France. Tout le monde reste stupéfait. Un grand silence suit les dernières notes. Puis, un à un, les courtisans se mettent à applaudir. Le vieil horloger ne peut retenir ses larmes.

Une année plus tard, la reine Marie- Antoinette achète l'automate et en fait don à l'Académie des Sciences.

Depuis, la petite figurine, remise à neuf régulièrement, et témoin de l'excellence technique des siècles passés, attend, toujours prête à rejouer un de ces airs intemporels qui ont charmés la dernière cour de France, et impassible face à l'assaut du temps.

 

Jules Pauti – L1 Humanités

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