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Les Bêtes du Sud sauvage
Les Bêtes du Sud Sauvage
Gros succès du dernier festival de Cannes, l'ouragan Les Bêtes du Sud sauvage rafle toutes les récompenses sur son passage. Avec Obama comme attaché de presse de luxe, il n’a pas fini de faire parler de lui.
L’histoire se passe en Louisiane, dans un de ses bayous, terre amphibie à moitié submergée par l’eau. Dans un petit village, une poignée d’habitants vit coupée du reste du monde, aussi bien physiquement – un barrage les sépare de la ville – que figurativement : chez eux, ni eau courante ni électricité, comme s’ils n’étaient pas concernés par la marche du progrès. C'est dans cet espace clos qu’habite Hushpuppy, petite puce de 6 ans, avec son père, alcoolique impulsif, peu doué pour s’exprimer par les mots. Soudain, une rumeur gronde : un ouragan se prépare et il va tout emporter sur son passage, y compris le village. La moitié des habitants s’enfuie, mais une bande d’irréductibles reste, dont évidemment Hushpuppy et son père. L’ouragan passe, les dégâts sont considérables : l’eau a tout recouvert, ne laissant que quelques maisons debout. Les survivants se regroupent dans l’une d’elles et tentent de survivre. Mais l’eau salée détruit peu à peu la faune et la flore du lieu, et la santé du père de Hushpuppy décline inexorablement…
Ce petit drame américain de 92 minutes de Benh Zeitlin n’a pas fini de faire parler de lui : il a déjà raflé des dizaines de récompenses, dont le Grand prix du jury au festival du film de Sundance, celui du Festival de Deauville 2012, il a été primé Caméra d’or au festival de Cannes et n’oublions pas que le président Obama en personne l’a plébiscité !
Pourtant, il n’a rien d’un blockbuster d’Hollywood et cultive même un petit air de film intellectuel pour élite, si prompt à faire fuir le grand public habituellement. En effet, pas ou peu d’effets spéciaux ici – petit budget oblige –, uniquement des acteurs non professionnels trouvés dans la région, sans parler du fait qu’il s’agit du premier long-métrage d’un réalisateur inconnu jusqu’alors.
Mais il semblerait que ce drame ait l’étincelle qui le fasse sortir du lot des films indépendants. Les mauvaises langues diront que c'est uniquement parce qu’il surfe sur la vague écolo et bien-pensante du moment, avec l’éloge de ces hommes fiers vivant en communion avec la nature mais qui subissent de plein fouet les abus égoïstes des méchants citadins.
En réalité, cette reconnaissance est bien plus due à l’incroyable personnage de Hushpuppy, magistralement interprété par Quvenzhané Wallis (d’ailleurs nommée aux Oscars), qui mène le film à la baguette. Héroïne du film, c'est dans sa tête de petite fille que l’on vit l’histoire. Cela permet au drame de prendre des airs de conte. La voix-off de l’enfant ponctue le film comme le ferait un narrateur de fables et permet d’introduire des éléments fantastiques qui matérialisent ses fantasmes et ses peurs – ainsi la gamine croit dur comme fer à l’existence d’aurochs mangeurs d’enfants et s’imagine que les bouleversements climatiques annoncent en fait leur arrivée.
Cela permet également de poser un regard neuf, un regard d’enfant sur les personnages qui entourent Hushpuppy. Cependant, ces derniers ne sont pas idéalisés : totalement pathétiques, ivres la plupart du temps, ils ne semblent pas avoir conscience des risques que représente leur opiniâtreté, comme le fait d’entraîner plusieurs enfants vers une mort certaine. Pour autant, la petite ne dénonce rien et montre de la même manière brute leurs points positifs. Vivant tous ensemble comme une grande famille et ne perdant jamais leur sens de la fête, ils sont d’une solidarité à toute épreuve et prennent soin des autres autant que d’eux-mêmes – c'est-à-dire pas parfaitement, mais du mieux qu’ils peuvent. En ce sens, la relation que Hushpuppy a avec son père est emblématique : ce dernier, bourru et violent, semble être sans cœur avec la bambine qu’il laisse vivre par elle-même et à qui il interdit de pleurer. Ce comportement pousse l’enfant à rêver au retour de sa mère partie à sa naissance et à craindre l’homme – elle pense même que ce dernier la tuera un jour. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils se haïssent, et aussi contradictoire que cela paraisse, nous nous rendons compte, par des petits gestes, qu’il y a un amour très fort entre eux, exprimé maladroitement, comme lors de cette scène muette où le père autorise enfin sa fille à le prendre dans ses bras lorsqu’elle comprend qu’il va mourir.
Néanmoins, le film a les défauts de ses avantages.
En adoptant le point de vue d’une petite fille, aussi mature soit-elle, le réalisateur livre une vision forcément simpliste et manichéenne du monde qui peut s’avérer lassante. En effet, la distinction entre méchants et gentils est ici très claire : les habitants du bayou, malgré tous leurs défauts, sont évidemment du bon côté, alors que les citadins sont d’horribles personnages qui ont pour seule ambition de leur interdire de retourner chez eux, de les rendre malheureux. On ne peut s’empêcher de leur en vouloir lorsqu’ils viennent prendre de force les irréductibles qui sont restés dans le bayou. Pareillement, l’hôpital où sont emmenés les héros de l’histoire est diabolisé et les médecins sont présentés comme des idiots insensibles que nos protagonistes doivent fuir. Pour un peu, on en oublierait presque qu’en allant les chercher et les soigner, les secours veulent tout simplement les sauver.
Autre inconvénient : celui de la métaphore des peurs de la gamine. Représentée par des aurochs sanguinaires qui détruisent tout sur leur passage, ces derniers apparaissent par séquences courtes tout au long du film pour symboliser l’arrivée imminente de catastrophes : l’ouragan, la mort du père… Si l’idée semble bonne, la métaphore filée est en fait bien trop appuyée : là où quelques passages auraient suffi, le réalisateur décide de multiplier l’apparition des bêtes mythiques au risque d’être un peu pesant. C'est dommage, davantage de subtilité aurait été l’occasion de rendre l’histoire plus sensible.
Mais ces quelques défauts sont amplement compensés par la poésie qui se dégage du film. Les paysages du bayou, filmés caméra à l’épaule, sont à couper le souffle ; le spectateur est littéralement plongé dans l’histoire. Quant à la bande originale composée par Dan Romer, ses airs entraînants sont un véritable régal, comme lors de cette fête nocturne où la musique explose en un feu d’artifice visuel et sonore.
Que dire de plus ? Les Bêtes du sud sauvage est une perle rare, qui pour une fois mérite amplement les récompenses qui lui sont attribuées. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, une chose est sûre, ce film ne laisse personne indifférent.
Fanny G.
Les Bêtes du sud sauvage (Beasts of the Southern Wild) réalisé par Benh Zeitlin, avec Quvenzhané Wallis et Dwight Henry , sorti en salle le 27 juin 2012 (92 minutes).