- Cette première séance a réuni 24 personnes, dont M. Renaut, professeur de philosophie et M. Bréchet, professeur de littérature grecque. Les étudiants venaient principalement de la licence Humanités, toutes années confondues.
La séance a débuté par un résumé du "A comme Animal" de l'Abécédaire de Deleuze, mettant en perspective plusieurs questions:
-Qu'est-ce qui me sépare de l'animal, au point de l'exclure de toute communication ou empathie?
-Comment peut-on constituer une forme de communauté avec l'animal? Peut-on penser comme Deleuze, pour qui la relation la meilleure entre l'homme et l'animal est "une relation animale avec l'animal"?
- Les participants vont alors soumettre plusieurs problèmes:
- le problème de la chasse et de la production industrielle.
-la question du végétarisme. Faut-il être végétarien? Pour certains, l'animal vit pour être mangé, il est donc vu et traité d'abord en vue d'une utilité, comme un moyen en vue d'une fin.
-la question de la souffrance, de la pitié que nous pouvons ressentir. Jusqu'où reconnait-on la souffrance de l'animal?
- Citations:
J. Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, in The Collected Works of Jeremy Bentham, Londres, University of London The Athlone Press, p. 283.
« Le jour viendra peut-être où le reste de la création animale acquerra ces droits qui n’auraient jamais pu être refusés à ses membres autrement que par la main de la tyrannie. Les Français ont déjà découvert que la noirceur de la peau n’est en rien une raison pour qu’un être humain soit abandonné sans recours au caprice d’un bourreau. On reconnaîtra peut-être un jour que le nombre de pattes, la pilosité de la peau, ou la façon dont se termine le sacrum sont des raisons également insuffisantes pour abandonner un être sensible à ce même sort. Et quel autre critère devrait marquer la ligne infranchissable ? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être celle de discourir ? Mais un cheval ou un chien adultes sont des animaux incomparablement plus rationnels, et aussi plus causants, qu’un enfant d’un jour, ou d’une semaine, ou même d’un mois. Mais s’ils ne l’étaient pas, qu’est-ce que cela changerait ? La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? ni : peuvent-ils parler ? mais : peuvent-ils souffrir ?
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes :
« Il y a d'ailleurs un autre principe que Hobbes n'a point aperçu et qui, ayant été donné à l'homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de son amour-propre, ou le désir de se conserver avant la naissance de cet amour, tempère l'ardeur qu'il a pour son bien-être par une répugnance innée à voir souffrir son semblable. Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, en accordant à l'homme la seule vertu naturelle, qu'ait été forcé de reconnaître le détracteur le plus outré des vertus humaines. Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles, et sujets à autant de maux que nous le sommes; vertu d'autant plus universelle et d'autant plus utile à l'homme qu'elle précède en lui l'usage de toute réflexion, et si naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles. Sans parler de la tendresse des mères pour leurs petits, et des périls qu'elles bravent pour les en garantir, on observe tous les jours la répugnance qu'ont les chevaux à fouler aux pieds un corps vivant; un animal ne passe point sans inquiétude auprès d'un animal mort de son espèce; il y en a même qui leur donnent une sorte de sépulture; et les tristes mugissements du bétail entrant dans une boucherie annoncent l'impression qu'il reçoit de l'horrible spectacle qui le frappe. (...)
Tel est le pur mouvement de la nature, antérieur à toute réflexion: telle est la force de la pitié naturelle, que les mœurs les plus dépravées ont encore peine à détruire, puisqu'on voit tous les jours dans nos spectacles s'attendrir et pleurer aux malheurs d'un infortuné tel, qui, s'il était à la place du tyran, aggraverait encore les tourments de son ennemi. » (...)
Par ce moyen, on termine aussi les anciennes disputes sur la participation des animaux à la loi naturelle. Car il est clair que, dépourvus de lumières et de liberté, ils ne peuvent reconnaître cette loi; mais, tenant en quelque chose à notre nature par la sensibilité dont ils sont doués, on jugera qu'ils doivent aussi participer au droit naturel, et que l'homme est assujetti envers eux à quelque espèce de devoirs. Il semble, en effet, que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c'est moins parce qu'il est un être raisonnable que parce qu'il est un être sensible; qualité qui, étant commune à la bête et à l'homme, doit au moins donner à l'une le droit de n'être point maltraitée inutilement par l'autre."
- Oeuvres citées:
- E. de Fontenay, Le Silence des bêtes, Fayard, 1999
- Film: D. Cronenberg, La Mouche, 1987