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Année France Russie : Lettre ouverte à Serge Diaghilev

 

 

Lettre ouverte à Serge Diaghilev

 
Lorsque tu arrivas avec la troupe des ballets russes à Paris en 1909, les Français eurent peur. Oui, peur de ces barbares, du chaos des répétitions, peur de l’inconnu et du lointain tout simplement. Pourtant, le « coup de foudre » des ballets russes qui tomba sur la scène du théâtre du Châtelet surprit tout le monde et la Russie fut à l’honneur.
C’est en invitant l’avant-garde française à participer à tes spectacles, en tendant la main à Chanel, Cocteau, Matisse ou Picasso que tu traças à tout jamais un indélébile trait d’union artistique entre la Russie et la France. Tu avais alors compris combien ces deux Nations pouvaient s’apporter, combien leur destin artistique pouvait être unique tout en étant double. Cette collaboration fit des merveilles.
 
Alors, j’imagine que tu serais fier aujourd’hui, de voir que l’année 2010 a choisi pour étoile l’amitié de nos deux Nations. C’est l’occasion, pour les Français comme pour les Russes de redécouvrir la richesse et la puissance de la culture du  pays partenaire.
Moi qui ai découvert une passion pour ton pays en apprenant ta langue –si belle mais si dure !– j’apprécie de pouvoir approfondir mes connaissances grâce aux nombreuses manifestations culturelles et artistiques russes. 
 
Elles nous font découvrir un visage à la fois traditionnel de la grande Russie, et insolite de la nouvelle Russie de l’ère postsoviétique. Ce double visage me rappelle l’emblème de ce pays: l’aigle bicéphale qui orne de nombreux monuments que j’ai pu découvrir lors de mes voyages.  Alors voici des extraits de mon portfolio culturel de l’année. 
Qu’en est-il du premier visage que j’évoquais ? On a pu contempler, lors de l’exposition Sainte Russie au musée du Louvre, l’iconographie russe, art majeur dans un pays principalement orthodoxe. De nombreuses programmations d’opéras et théâtres partout en France, ont su rendre hommage à des compositeurs tels Tchaïkovski, Prokofiev ou Stravinsky dont la virtuosité est incontestable. Et le Forum des Images à Paris, grâce au festival «Moscou/Saint-Pétersbourg » qu’il organisait, a révélé à ceux qui ne le connaissaient pas encore, le génie du cinéaste Eisenstein par Octobre et le cuirassé Potemkine. Ces films, bien qu’ayant servi la propagande stalinienne, restent néanmoins célèbres pour leur ingénieux montage – la scène de la poussette dévalant l’escalier sous la terreur des soldats du tsar est entrée dans l’histoire du cinéma – mais également pour la force des personnages et l’idéal révolutionnaire qu’ils incarnent.
L’image de la nouvelle Russie transparaît, quant à elle, dans la mise en scène déconcertante de Hamlet par Nikolaï Kolyada au Théâtre de l’odéon, qui conçoit le théâtre « comme une expérience vitale, concrète, au plus près des paysages, des matériaux, des atmosphères de la Russie d’aujourd’hui » (ndr : extrait de la présentation de la pièce par le théâtre). Mise en scène d’une incontestable modernité, elle choque par l’importance accordée aux accessoires bassement matériels : cuvettes métalliques, tissus kitsch, colliers de chien métamorphosés en bijoux, sacs plastique… Autant d’éléments qu’on aurait aimé trouver autre part que dans une pièce de Shakespeare mais qui révèlent un matérialisme hélas bien omniprésent dans nos sociétés actuelles et peut-être plus encore dans une société ayant souffert d’importantes restrictions pendant près de soixante-dix ans. Quant à leur nudité bestiale exposée sur scène de façon ostentatoire, elle met en évidence une soif de liberté d’expression inassouvie pendant l’ère soviétique, et traduit l’éternelle passion slave dans toute sa violence qui choque notre « conformisme bourgeois » n’ayant pas vécu de récente révolution.
 
Ces manifestations sont aussi l’occasion de rappeler le lien artistique et historique qui unit la France à la Russie, et que toi aussi tu as tissé. Le théâtre des Champs Elysées nous propose une programmation de ballets à l’occasion du centenaire des « Saisons russes », symbole d’une collaboration entre nos deux pays. De même, l’exposition « les artistes russes hors frontières » au musée du Montparnasse présente des œuvres de peintres qui ont émigré à Paris à l’époque soviétique, et ont aimé la France sans jamais renier leurs origines.  Quant au musée Matisse de Nice, il propose une rétrospective sur l’influence de Lydia Delectorskaya dans l’œuvre de Matisse. Cette femme, jeune blonde sibérienne, fut la muse et la source d’inspiration inépuisable de l’un des plus grands artistes français du XXème siècle. Son portrait est l’une des productions majeures du peintre. 
 
Que dire des manifestations culturelles françaises en Russie ? Sans m’attarder sur les nombreuses expositions picturales et photographiques, les concerts, films et spectacles que l’on peut trouver, je tiens à souligner l’une d’entre elles, qui me touche plus particulièrement. En février dernier, un festival de la francophonie avait été organisé par l’institut français de Saint-Pétersbourg, et réunissait petits et grands écoliers apprenant le français. Ils mettaient en scène  Bécassine, Le Bourgeois gentilhomme, Emile Ajar (écrivain français aux origines russes), et bien d’autres. Ce festival ne révélait qu’une chose : un intérêt et un amour pour la France. La Russie et la France font un pas vers l’autre et se rencontrent.
 
Il est alors possible de renforcer un partenariat économique et scientifique existant et enrichir les relations diplomatiques. Puissance en expansion, la Russie devient un partenaire incontournable pour la France. Coopération spatiale, recherche océanographique, les sujets sont nombreux. Cette année est aussi l’occasion de se réunir et créer le
« club énergétique franco-russe », chargé d’associer des entreprises des deux pays pour favoriser l'émergence de projets concrets au service du développement durable, signe d’un avenir commun.
 
 
Un siècle nous sépare cher ami, pourtant moi qui aime mon pays, moi qui apprends à connaître le tien, je comprends ce qui a animé ton projet de coopération entre nos deux Nations. L’échange culturel est source de création de richesse et chacun, en partant à l’aventure dans l’autre pays a fait fructifier ses propres ressources au contact de l’autre, comme tu l’as fait toi aussi. 
L’amitié franco-russe est un jardin qu’il faut cultiver, et nous sommes nombreux à avoir « semé » cette année les graines d’une future collaboration culturelle, économique, et scientifique étroite entre la France et la Russie, garante d’une paix durable. Cette collaboration fera des merveilles.
 
Avec toute mon amitié,
 
Constance Morlet, L1 humanités