Corrosion

févr.
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CORROSION 
                   
         Chaque passion est une forme de violence : de l’amour que nous ressentons pour un proche et pour qui nous serions  «  prêts à tout », à la profonde tristesse à cause de laquelle nous nous imposons toutes sortes de souffrances. 
Parmi ces passions se trouve la jalousie maladive d’un époux qui dans un élan de possessivité extrême décide un jour d’effacer le visage de sa jeune épouse à l’acide afin que plus aucun homme ne puisse convoiter son image.
Cette épouse, c’est Fakhra Younas, célèbre danseuse pakistanaise qui, au sortir de l’hôpitalélève la voix et dénonce ce crime passionnel dans un livre : Le visage effacé. Un crime d’honneur ( ou « karo-kari »)qui touche indistinctement une grande partie des femmes au Pakistan. ( Pakistan qui veut pourtant dire : le pays des purs. ) Fakhra ou le destin d’une femme qui, malgré sa répulsion pour le mariage, répond à la demande de Bilal Khar, le «  fils préféré » du puissant Mustapha Khar, homme politique riche et influent au Pakistan.
L’enfance de Fakhra est loin d’être heureuse : Ses frères et sœurs et elle-même allant de places en places, n’ayant  pas de logement à eux et subissant les désagréments de la pauvreté et de la faim. Leur vie n’étant que déménagements successifs chez des proches ou des amis. Durant cette période, la jeune fille et ses frères baignent dans une atmosphère douteuse où dominent la drogue, le sexe et le crime ; la mère, constamment sous l’emprise de l’héroïne (comme une personne sur dix au Pakistan), est fatalement incapable de s’occuper de ses enfants, contraints de se responsabiliser très tôt et de « prendre la relève ».
Fakhra comprend très vite qu’il lui faut trouver un moyen de gagner de l’argent afin de ne plus être perpétuellement dépendante de tierces personnes. Elle trouve son bonheur dans la danse, un mouvement, un tourbillon où il lui est possible d’oublier ou plutôt d’ignorer ne serait-ce qu’un instant le joug qui l’enchaîne. Les danseuses sont bien payées au Pakistan et sont une source de revenus non négligeable pour les familles. C’est en dansant que Fakhra connaît ses premiers succès, notamment avec les hommes qui ne tardent pas à réclamer sa première nuit. Au «  pays des purs », une nuit ou plusieurs nuits avec une fille se négocie avec la famille, c’est à cette occasion qu’un prix est fixé. Toute fréquentation se paie et est un apport substantiel pour la fille ainsi que pour la famille. Hemat est l’un de ceshommes, il occupeune place importante dans la vie de Fakhra. C’est grâce à lui qu’elle parvient à s’acheter une demeure mais aussi avec lui qu’elle parfait son éducation. Hemat est aussi le père de son enfant, Nauman. Viennent ensuite Nadim et Badar avec qui elle se marie. Mais ce mariage n’est que de courte durée et précède de peu l’arrivée de Bilal dans la vie de la jeune femme.
«  Bilù et Pato », ainsi s’appellent Bilal et Fakhra aux premiers temps de leur amour, où le désir de plaire à l’autre pousse à occulter une partie de sa personnalité. Petit à petit, la jalousie de «  Bilù » se fait jour et mène inéluctablement à des agissements irraisonnés et impétueux. De ce fait, «  Pato » en vient à décrire sa relation comme étant rythmée tantôt par les coups tantôt par la tendresse : «  Entre un baiser et l’autre, «  agrémentés » de quelques gifles […] ».
Et puis un jour, l’impétuosité du mari revêt  les traits de la monstruosité, prenant comme compagnon l’acide avec lequel Bilal ronge la tête de Fakhra, un matin du mois de mai. La corrosion qui peu à peu effrite le nez puis les yeux, est comme la mort de cet amour caustique.  En un instant, la belle danseuse n’est plus et la possessivité de son agresseur aurait dû mourir avec elle mais il n’en est rien. Lorsque la victime nécessite un suivi médical rigoureux, son geôlier le lui interdit de peur qu’elle ne se sauve avec un autre : «  Il était jaloux des médecins de l’hôpital, qui selon lui me regardaient ; jaloux d’un mari aux cheveux gris […] parce qu’il m’avait regardée avec trop d’attention, jaloux d’une nièce lesbienne de Safyia. »
C’est avec le concours de Tehmina Durrani, qui n’est autre que l’ex-belle-mère de Bilal et est très influente au Pakistan, que Fakhra parvient à se reconstruire en quittant son pays pour l’Italie où elle bénéficie des pratiques avancées de la médecine et peut se réapproprier un nez, une bouche, des oreilles et l’usage de la vue.
 
A travers ce témoignage, c’est la défaillance de l’appareil politique et juridique pakistanais qui est dénoncé ( Hudood Ordinance, lois islamiques sur lesquelles s’accordent l’Etat), ainsi qu’une condition féminine en tous points différente de celle observée en occident.
 
 Le visage effacé,  France Loisirs, 2005.
                                                                                                                                                                                                       Murielle Samba, L1 Humanités